4 adaptations de « 1984 » au crible
Libre de droits, le roman incontournable de George Orwell, 1984, a connu quatre adaptations BD en quelques semaines. Si toutes respectent la trame et le fond de l’oeuvre originelle – une dystopie où tout le monde est observé et censuré, le passé sans cesse remodelé, l’amour physique règlementé, le libre-arbitre oublié –, elles se révèlent toutefois assez différentes. Dans leur parti-pris esthétiques mais aussi littéraires. Tour d’horizon.
La plus littéraire
Par Fido Nesi. Grasset, 228 p., 22 €.
L’auteur brésilien Fido Nesti propose une version dense, tant narrativement que visuellement, de 1984. Son trait épais et ondulant tranche avec une esthétique totalitaire attendue, mais il le noie sous une mise en couleur grisâtre, parfois illuminée d’un jaune très pâle ou d’un rouge dilué. Il en ressort des planches bouchées, presque suffocantes, d’autant que le texte s’insinue partout. En effet, le choix fait ici est celui d’une adaptation très littéraire, au plus près des mots. Et ce avec la traduction récente de Josée Kamoun (Gallimard, 2018), qui souligne la dimension éminemment littéraire de l’oeuvre d’Orwell. Pourquoi pas.
Mais au sein de ces petites cases très remplies, et dans une uniformité chromatique qui, si elle colle bien au propos, lasse rapidement, seuls les plus courageux iront au bout. Néanmoins, ils y retrouveront le coeur non édulcoré du roman, avec sa voix off lancinante – le peu de dialogues, ici, fait parfois pencher la balance vers le texte illustré plutôt que vers la BD. Intéressant, mais éreintant.
La plus sobre
Par Jean-Christophe Derrien et Rémi Torregrossa. Soleil, 120 p., 17,95 €.
Le chevronné scénariste Jean-Christophe Derrien (Miss Endicott, Time Twins…) offre une lecture sobre et efficace de 1984. Dans une mise en scène enlevée, il s’appuie sur un texte minimal qui reprend les grands enjeux et les passages clés, n’hésite pas à largement dialoguer certaines scènes, et offre au dessinateur Rémo Torregrossa (Triskell) l’occasion de jouer sur le découpage et les décors pour insuffler de la vie. Car si sa ligne fine manque parfois un peu de personnalité et de profondeur, sa manière d’imposer des gros plans, d’exploser les cases et de glisser des éléments de couleurs dans des planches aux aplats gris implacables, se révèle diablement efficace.
Cette sobriété aux effets étudiés permet de bien accentuer la relation entre Winston et Julia, mais trouve ses limites dans la dernière séquence, celle de la torture, peu douloureuse car trop clinique, et assez vite expédiée. Au final, ce 1984-là est certainement la version la plus accessible, ce qui est un choix tout à fait louable.
Le plus visuel
Par Xavier Coste. Sarbacane, 224 p., 35€.
Pour Xavier Coste, habitué aux biographies (Egon Schiele, Rimbaud l’indésirable), aux récits historiques parisiens (À la dérive, A comme Eiffel), ou aux adaptations littéraires (L’Enfant et la rivière), donner vie à 1984 en bande dessinée était un des grands rêves de sa vie. Parmi toutes les adaptations sorties ces dernières semaines, c’est sans aucun doute la plus originale et la plus forte visuellement. Dans un format carré, il développe une mise en scène étouffante, mais par par une surabondance de texte ou de lavis gris. Non, il fait des choix narratifs forts, pour montrer comment ce fonctionnaire lambda de Winston se laisse aller à la révolte. Comme la version de Derrien et Torregrossa, il donne une large place à l’histoire d’amour, mais développe bien plus la fin, avec les interrogatoires, les sévices, la destruction méthodique de la volonté et de la dignité d’un homme.
Jouant sur les couleurs – jaune et bleu pour le travail et l’administration, carmin pour l’intimité, bleu nuit pour la prison –, il appuie ses choix visuels inspirés de l’expressionnisme, mais aussi d’un design années 40, et offre ainsi une esthétique totalitaire moins froide qu’attendu, mais tout aussi forte. Pour une version de 1984 bouleversante et terrifiante, de celles qui restent en tête longtemps. Et un pop-up se déploie en fin d’album, en guise de cerise sur ce beau gâteau !
Le plus froid
Par Sibylle Titeux de la Croix et Amazing Ameziane. Éditions du Rocher, 230 p., 19,90 €.
Avec son trait épais et ses postures souvent figées, Amazing Ameziane (Cash Cowboys, Muhammad Ali, Clan…), sur un scénario conçu par Sibylle Titeux de la Croix (déjà complice d’Amézian sur une bio BD d’Angela Davis), développe ici une narration variée, qui alterne entre des pleines voire des doubles pages, des séquences plus découpées, des cases noires purement narratives, des textes illustrés. La voix off est présentée – et c’est assez peu élégant – dans des cartels façon papier déchiré, mais heureusement les dialogues sont bien présents.
Le plus intéressant ici, c’est sa manière de brosser une ville soumise à Big Brother, donc les messages se déclinent sur les affiches et les écrans, jusque dans les publicités. L’auteur a d’ailleurs dessiné ces visuels de bourrage de crâne totalitaires dans des pleines pages qui ponctuent le récit, et c’est assez réussi. Cependant, le reste de ses choix esthétiques lasse un peu, souvent trop froids ou trop raides ou pas assez incarnés. Trop de distance, trop de révérence peut-être…
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Je ne savais pas qu’il y avait autant d’adaptations différentes sous forme de BD !
Je suis assez novice dans le domaine mais me plonger dans une de ces adaptations de 1984 m’intéresserait Laquelle de ces 4 adaptations conseilleriez vous à un nouveau venu dans le monde de la BD ?
Commentaires