Dominique Véret, confessions d’un éditeur de mangas (1/2) : « Mon travail est à présent plus une frustration qu’une joie »
Défricheur du manga en France grâce à la librairie Tonkam, aux éditions Tonkam puis à la création de la société Akata, Dominique Véret est incontournable dans le paysage manga français. Face aux difficultés du marché actuel, il n’hésite pas à hausser le ton contre les règles abusives qui régissent la traduction des BD japonaises aujourd’hui. C’est un homme inquiet et soucieux de l’avenir du manga que nous avons interviewé.
Un peu plus d’un an après le séisme, le tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima, qu’est-ce que les Japonais ont appris de cet événement ?
La réaction de la population a été exceptionnelle par rapport à l’ampleur du drame. Le peuple japonais connaît ses limites, sait accepter les catastrophes naturelles et la mort qui peut en découler. Il a pourtant été très touché intérieurement face à la dangerosité du monde moderne. En effet, avec les radiations propagées par la centrale de Fukushima, il est probable que 25 à 30% des Japonais aient été irradiés. Des conséquences sanitaires graves risquent de se faire rapidement sentir et cela entraînera une remise en question radicale du mode de vie et de la culture japonaise actuels : société de consommation irresponsable, amoralité des élites, abrutissement et docilité des masses. L’aspect humain de tous ces drames et les changements qu’ils vont générer seront exprimés par le manga.
Cela a-t-il changé vos relations avec les éditeurs et auteurs japonais ?
Avant, tout était très cadré. On sent désormais que certains Japonais ont un peu plus de recul sur leur situation professionnelle et leur vie. Cette catastrophe va peut-être leur permettre de ne plus agir en simples salary men… Quand j’irai au Japon maintenant, je sais que je serai sujet aux radiations, que je mangerai des aliments potentiellement contaminés… Je peux gagner ma vie sans me pourrir la santé stupidement. Si je continue à aller dans ce pays, ce sera aussi pour participer à un futur plus respectueux de la nature et des êtres humains.
Que retenez-vous de la dernière édition du Salon du livre de Paris, placée sous le signe du Japon ?
Le fait que le Japon ait été l’invité d’honneur a véritablement contribué au succès de cette édition. Tout d’abord, les personnes sont venues par compassion, mais aussi parce que les mangas et la littérature japonaise intéressent beaucoup de Français. Notamment grâce au travail d’éditeurs comme Picquier. De plus, de nombreux éditeurs de mangas étaient présents sur le salon. Son ampleur a permis à beaucoup médias de parler du manga et d’en présenter différents aspects, notamment des titres principalement destinés aux adultes, plus pertinents pour promouvoir le genre que les shônen et shôjo classiques.
Selon vous, pourquoi le manga suscite un engouement si fort et durable en France ?
De mon point de vue, mise à part la génération Dorothée bercée par les dessins animés japonais à la télévision, l’engouement pour le manga est dû à une forte différence culturelle entre la France et le Japon. Un Japonais peut se rattacher à la modernité, au bouddhisme ou au shintoïsme. De plus, plein de combinaisons sont possibles selon les moments importants d’une vie. En revanche, en dehors de la modernité et de la culture laïque, un Français n’a rien pour se construire. Les strates philosophiques et spirituelles de notre histoire – comme notre période animiste, celte/gauloise et l’ère chrétienne – ont été désacralisées, discréditées et oubliées par la raison, la science et le soi-disant progrès. Les jeunes sont déracinés et ne sont plus élevés que sur les quelques résidus culturels qui ont pétri la France durant des milliers d’années… Ainsi, la culture pop japonaise apporte encore du sens à la vie, alors que la culture française n’en donne plus.
Les mangas représentent plus de 35% des nouveautés BD en 2011, mais on note une légère baisse du volume et des ventes depuis 2008. Il semble bien plus difficile de sortir un titre aujourd’hui qu’il y a 10 ans…
Cela fait maintenant 20 ans que je travaille dans le manga et ça n’a jamais été aussi complexe. Le meilleur et le pire se côtoient, mais au détriment du meilleur. Avant, le livre avait un rôle éducatif et culturel fort, il portait et donnait du sens. Maintenant, c’est trop souvent un simple produit, du papier gaspillé. Trop de mangas publiés n’ont rien à dire et, à cause d’un effet de saturation, ils provoquent une crise à tous les niveaux. Il y a quelques années, on pouvait apporter des choses nouvelles et intéressantes aux lecteurs, avoir une ligne éditoriale pédagogique et forte, faire découvrir tous les trésors du manga. Mais, l’ascension du manga a attiré des intérêts économiques et des personnes qui ne viennent pas du métier du livre. Car il n’existe pas de formation suffisante pour ceux qui exercent ce métier. Il y a donc un sévère manque de connaissances, de maturité, de sérieux et de prise de conscience que l’on participe à quelque chose de culturellement important. Pour la première fois, nous avons les moyens (et la demande) de nous pencher sur une culture totalement différente de la nôtre (sans se faire la guerre) et de l’accepter en la comprenant… autant le faire correctement !
Quelles sont vos perspectives de développement dans ce secteur difficile ?
Je pense qu’il faut continuer à mettre de la conviction dans son travail et ne pas se moquer des lecteurs. Il serait bon de réduire le nombre de sorties et de proposer des titres moins répétitifs, plus pertinents et intelligents, tout en se donnant les moyens de les traduire et de les adapter correctement. Aujourd’hui, beaucoup de titres sont bâclés – même si, dans l’ensemble, c’est mieux qu’au début. De plus, les traducteurs et les adaptateurs n’ont pas vu leurs salaires augmenter depuis 15 ans ! Impossible pour eux de se former, de s’informer et de voyager au Japon pour s’imprégner de la culture et de ses évolutions… C’est une situation unique : les traducteurs de romans japonais sont reconnus pour leur travail ; dans le manga, ils sont souvent pris pour des cons. Ils se retrouvent donc obligés de traduire vite et beaucoup pour pouvoir vivre de leur métier. Dès lors, on ne peut attendre des traductions parfaites. Pour les adaptateurs, le problème commence à être détourné par les éditeurs, car leur nombre baisse. Souvent, les onomatopées ne sont plus traduites, ou simplement sous-titrées… C’est dommage parce qu’elles ne transcrivent pas seulement des sons, mais aussi des états d’esprits, des attitudes.
Akata/Delcourt a choisi de réduire son rythme de parution et son nombre de nouveautés. Est-ce concluant ?
L’idée était de permettre à nos titres d’avoir une place de choix et de ne pas être noyé dans la masse. Mais, comme nous sommes très peu à avoir su rester raisonnables, le résultat actuel est nettement en notre défaveur. Concrètement, avec 80 à 90 sorties par an, nos ventes sont moins importantes qu’il y a deux ans et le chiffre d’affaires a beaucoup baissé. Avec la surproduction, les journalistes et les libraires ont du mal à mettre en avant un large éventail qualitatif de la production, et nos titres ne se remarquent plus comme avant. Nous avons donc dû revoir notre politique éditoriale en faisant parfois des choix plus éloignés de nos envies. À vrai dire, mon travail est à présent plus une frustration qu’une joie.
La concurrence est rude pour les acquisitions de licences. Comment se démarquer ?
Par la connaissance du métier, tout en essayant de coller le plus possible à notre ligne éditoriale. Comme nous avons un catalogue cohérent et différent des autres, nos interlocuteurs japonais connaissent notre manière de faire et notre souci éditorial. Par exemple, quand nous avons acquis Une sacrée mamie, personne n’y croyait… Aujourd’hui, nous atteignons des ventes de 15 000 exemplaires pour le premier volume !
Quel sera l’impact de l’augmentation de la TVA sur le marché du livre ?
Cela va pousser encore plus les lecteurs à sélectionner leurs achats ou à lire du scantrad [mangas numérisés, mis en ligne et distribués illégalement sur internet – ndlr]… En 15 ans, le prix des mangas a grimpé d’au moins 30% en France, alors qu’au Japon l’augmentation a été de 15% tout au plus ! Ici, on fait toujours payer aux clients les dysfonctionnements d’un métier. Les Japonais savent maîtriser leur marché du livre d’une autre manière, nous avons beaucoup à apprendre d’eux. De plus, si nous sommes nombreux à faire du manga, c’est qu’il y a beaucoup d’argent en jeu… Peut-être que les éditeurs devraient faire des efforts financiers pour rendre au manga l’accessibilité qu’il avait quand les shônen valaient 35 francs. Ne serait-ce que pour que ce qu’ils appellent « le marché » puisse continuer à fonctionner le plus longtemps possible…
Après le rachat de Kazé par Shûeisha/Shôgakukan/Shopro, est-ce plus difficile de négocier les titres de ces deux éditeurs ?
Je ne sais pas si l’on peut vraiment fixer de date, mais cela fait déjà un moment qu’il est très difficile d’acquérir les titres commerciaux des grandes maisons. Le nombre d’éditeurs de mangas a augmenté, et ils se battent ferme pour certaines licences. Certains éditeurs japonais en tirent parti et laissent monter les enchères sans vraiment tenir compte du résultat qualitatif final… En plus de cette compétition financière, il faut maintenant aller très vite. Certains titres commencent à se négocier alors que seuls quelques chapitres viennent d’être prépubliés ! Les Japonais font la pluie et le beau temps sur le marché français et notre activité est encore plus qu’avant une histoire d’argent. Je pense qu’on a besoin de construire une cohésion entre les éditeurs français. Nous devrions nous concerter à travers d’au moins une rencontre annuelle pour ne pas devenir les victimes d’une compétition idiote et aveugle.
Pendant ce temps-là, c’est plutôt l’inverse qui se produit. Kazé a été racheté il y a bientôt 3 ans et annonce un rythme de 25 titres par mois en 2015…
Il faut tout d’abord comprendre que les éditeurs japonais s’installent en France car c’est le deuxième pays consommateur de manga au monde. C’est aussi ici que l’on propose la plus grande diversité éditoriale hors du Japon. Publier des mangas en France, c’est à la fois placer des titres sur le deuxième marché, et aussi avoir une vitrine de luxe idéale pour promouvoir ses titres à l’étranger. Ce serait bien que les éditeurs japonais se remettent en question et nous respectent un peu plus, car c’est nous qui avons su rendre le Japon sympathique au reste du monde en à peine vingt ans.
Craignez-vous l’installation des éditeurs japonais en France ?
Il y a eu le rachat de Kazé. Maintenant, un ancien de chez Kôdansha, Kim Bedenne, travaille chez Pika/Hachette… De là à dire qu’il y a un rapprochement en cours, il n’y a qu’un pas et cela s’entend un peu partout ! Viz Europe/Kazé, a aussi envoyé récemment un mail aux éditeurs français pour les prévenir que Kazé Manga était dorénavant prioritaire sur les titres de Shûeisha… Pour Glénat et Kana, c’est plutôt une très mauvaise nouvelle, mais aussi pour les autres. Les Japonais vont être à la barre et risquent d’inonder encore plus le marché, alors qu’ils est plus difficile pour eux de comprendre les lecteurs français. Des tensions risquent de se développer, les éditeurs français pourraient se retourner contre leurs homologues nippons et favoriser les productions d’autres pays asiatiques. 2012 et 2013 seront des années cruciales, car si notre économie se prend une grande claque, les auteurs français et le milieu de la BD penseront d’abord à leurs intérêts.
Autre sujet brûlant, la bande dessinée numérique…
Pour moi, parler de bande dessinée numérique, c’est d’abord favoriser au maximum les échanges par câble : la transmission d’informations par ondes a envahi la planète en une quinzaine d’années, nous vivons la tête dans un four à micro-ondes. Si on s’intéresse au fonctionnement du cerveau, à ses émissions/réceptions d’ondes et aux états de conscience que cela induit, on comprend très vite qu’on a affaire à une des plus graves pollutions de l’histoire de l’humanité. Il est donc clair que quand j’envisage le développement de la BD par le numérique, c’est avec une vision très écologique.
Quelle place doit-elle prendre ?
Celle que la nouvelle génération lui donnera, mais il est important qu’elle ne vole pas celle du livre. Il a une dimension sociale et de miroir que le numérique n’offre pas. Les BD sur écran participent à une affaire de fichage des goûts et des sensibilités en temps réel. La bande dessinée en numérique se doit d’être de la création et non la simple copie de titres existants. Je dois reconnaître que les librairies débordent de BD et que pour les jeunes auteurs se faire remarquer grâce à Internet, c’est pas mal… Pour moi, la grande question qui se posera si la BD numérique ou numérisée devenait un marché plus important que le support livre : où seront le libraire et son rôle indispensable de conseil dans tout ça ?
(suite et fin de l’entretien mercredi prochain)
Propos recueillis par Rémi I.
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Sans surprise, les propos de D. Véret sont toujours aussi pertinents et tranchants, ça change de réponses vagues données par les éditeurs dans un docu vidéo en plusieurs parties en cours de publication chez le pionnier du magazine traitant de l’animation.
Ce qui est intéressant, c’est cette piste sur l’avenir de « l’absorption » du marché français par les éditeurs japonais.
Vivement la conclusion dans une semaine !
Sinon, la photo de stand, on reconnaît clairement qu’il s’agit de Taïfu, une erreur peut-être ?
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Sans surprise, les propos de D. Véret sont toujours aussi pertinents et tranchants, ça change de réponses vagues données par les éditeurs dans un docu vidéo en plusieurs parties en cours de publication chez le pionnier du magazine traitant de l’animation.
Ce qui est intéressant, c’est cette piste sur l’avenir de « l’absorption » du marché français par les éditeurs japonais.
Vivement la conclusion dans une semaine !
Sinon, la photo de stand, on reconnaît clairement qu’il s’agit de Taïfu, une erreur peut-être ?
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dominique, continue de diffuser la vérité
100% d accord avec toi
pour le fric tout est bon et encore plus
bientôt la culture ne sera plus pop mais réservée qu’ aux élites
et le travail de sape sera accompli a bientôt marie -
dominique, continue de diffuser la vérité
100% d accord avec toi
pour le fric tout est bon et encore plus
bientôt la culture ne sera plus pop mais réservée qu’ aux élites
et le travail de sape sera accompli a bientôt marie
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