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Agnès Hostache et les petits riens japonais

15 juin 2020 |

Agnes Hostache

© ARTAZART

Première BD de création pour Le Lézard noir, Nagasaki est aussi la première bande dessinée de son autrice Agnès Hostache. Tiré d’un fait divers, Nagasaki relate l’histoire vraie d’une femme ayant vécu volontairement cachée dans le placard d’un homme dont elle ne connaissait rien. En prenant pour base le roman éponyme d’Éric Faye, Grand prix de l’Académie française en 2010, Agnès Hostache s’attaque à une œuvre dans laquelle ce sont les petits riens qui en disent beaucoup. Nous avons rencontré cette autrice à l’occasion du festival d’Angoulême (durant lequel son ouvrage était en compétition). Elle a ainsi évoqué avec nous son rêve de bande dessinée, son amour du Japon, son parcours, la genèse de sa BD et de bien d’autres choses…

Quel a été votre premier contact avec le roman originel ?

C’est un peu un hasard. Je suis particulièrement passionnée par tout ce qui touche de près ou de loin au Japon. Je lis donc beaucoup de littérature japonaise et de livres qui abordent un sujet en rapport avec ce pays. Ici, il s’agit d’une œuvre d’un écrivain français, mais son titre ne m’a pas échappé. Il m’a intéressée parce que je suis allée plusieurs fois au Japon et que j’y ai exposé mon travail. Ce livre entrait en résonance avec ce que je pouvais faire en tant qu’illustratrice et avec toute ma connaissance de la culture, de la littérature et du cinéma japonais. Et vu que j’étais en quête d’un sujet pour ma première BD, cela tombait à point nommé.

Vous êtes-vous renseignée sur le fait divers sur lequel est basée cette histoire, avant de vous lancer ?

Je me suis renseignée et il n’y a pas énormément de choses si ce n’est les faits. Éric Faye m’a raconté un petit peu la suite, mais il ne sait pas grand-chose non plus. Après, moi, ça me fait bizarre de parler de gens qui ont existé. Je n’ai donc pas spécialement cherché et eu besoin d’en savoir beaucoup plus.
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Est-ce que c’est l’événement en lui-même qui vous a le plus marqué ou la manière dont il est traité par Éric Faye ?

L’événement. Je le trouve fou. Si on avait voulu inventer cette histoire, on aurait dit que c’est n’importe quoi tellement c’est improbable. De manière générale, j’aime bien les faits divers et je trouve que celui-ci est très fort.

C’est un auteur que vous connaissiez avant de lire Nagasaki ?

Je ne le connaissais pas du tout et j’ai tout simplement lu ce livre parce qu’il était noté Nagasaki sur la couverture. Depuis, j’ai lu d’autres choses de lui. J’adore sa façon d’écrire.

Qu’est-ce que vous vouliez apporter à l’œuvre originale ?

Cette histoire me correspondait. Je pense que j’ai vraiment voulu transmettre des choses qu’on n’a pas l’habitude de voir dans d’autres productions françaises sur ce thème-là. Du coup, j’ai trouvé un petit peu une niche.

Qu’a pensé Éric Faye de votre proposition d’adaptation ?

Il s’est montré très enthousiaste dès notre première rencontre, ce qui m’a beaucoup aidé et évité de stresser. C’était un projet qui était hyper ambitieux pour un premier livre, donc dès le départ, je me suis dit que les gens qui avaient adoré le livre détesteraient ma bande dessinée. J’avais fait une croix là-dessus.
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Vous aviez besoin de son retour ou de celui que quelqu’un d’autre pour avancer ?

En fait je n’ai presque pas montré mon projet en cours de réalisation. Si ce n’est à Éric Faye de temps en temps, au début, parce que je voulais le rassurer. Après, j’ai compris que lui était passé à autre chose et j’ai arrêté. Mon éditeur n’était pas du tout inquiet et me laissait faire. Et après j’ai une amie, Mariette, qui est illustratrice, et je lui ai demandé de le lire à la toute fin pour qu’elle me dise si elle comprenait tout. Elle n’a finalement rien eu à me dire de particulier, si ce n’est des fautes d’orthographe !

Et est-ce qu’Éric Faye vous a fait un retour sur votre adaptation ?

Il m’a dit avoir beaucoup aimé. Alors ce n’est plus son Nagasaki, mais il m’a dit que ce livre-là lui faisait du bien. Pour moi c’était important qu’il aime mon Nagasaki, c’était ma manière à moi de le remercier de cette carte blanche qu’il m’avait donnée pour l’adaptation. Et de la part des lecteurs d’Éric Faye, pour l’instant je n’ai pas de retour négatif.

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce qui vous a intéressé dans ce livre ?

Il correspond à toute cette culture qui m’anime depuis longtemps, donc j’ai rapidement décidé de me lancer dans la BD avec cette adaptation. Nagasaki est directement entré en résonance avec un de mes travaux qui s’appelait Portrait d’illustres inconnus et autres petits riens du quotidien [voir ci-dessous]. Dans le roman d’Éric Faye, les petits riens du quotidien sont omniprésents et on peut facilement savoir qui est l’illustre inconnu [la personne vivant cachée dans le placard de la maison]. Ce qui m’intéressait dans ce livre, c’était le fait que je pouvais décrire une société japonaise ordinaire, sans avoir l’impression de faire un carnet de voyage, un manuel ou autre. Je voulais à tout prix éviter la carte postale touristique et je ne voulais pas non plus surfer sur la mode actuelle envers le Japon. J’avais même envisagé de passer cette histoire sur un territoire non identifié par rapport à un pays…

 

Agnes Hostache Portraits d illustres inconnus et autres petits riens du quotidien
Ce récit semble pourtant bien ancré dans le Japon !

Oui, c’est pour ça que j’ai écarté cette idée-là. Je pense aussi que cette histoire n’est possible que là-bas. Ne serait-ce que concrètement : on marche pieds nus sur les tatamis et on ne fait pas de bruit. Il y a aussi la solitude des personnages, cette espèce de grand placard qui permet de s’y loger, et on ne ferme pas spécialement les portes des maisons à clé. Même si je ne sais pas si c’est encore beaucoup le cas aujourd’hui… Mais tout cela légitimise presque de lui-même que le récit se déroule au Japon.

Quelle est l’origine de votre amour pour le Japon ?

Je crois que les premiers livres que j’ai achetés quand j’ai fait mon école d’arts appliqués étaient japonais. Déjà, en termes de packaging et de design, ils m’attiraient. Avant de faire de la bande dessinée, j’ai travaillé dans l’illustration, le graphisme et l’architecture d’intérieur. Ce sont des thèmes dans lesquels les Japonais excellent, je m’y suis donc très rapidement intéressé. J’ai par exemple lu une biographie de Charlotte Perriand à 18 ans, alors que certains la redécouvrent aujourd’hui. Et puis, c’est le pays du dessin. Il y est omniprésent et quand j’y vais je récupère tous les petits papiers, les packagings. Je trouve qu’ils ont une écriture remarquable, j’admire aussi leurs estampes.

Vous avez été formée aux arts appliqués. À quel métier vous destiniez-vous ?

Au départ, vraiment à la BD !

Pourquoi avez-vous attendu pour vous lancer ?

Il faut dire que j’ai toujours eu du mal à rentrer dans les cases parce que j’ai du mal à m’identifier à un truc en particulier. Je pense que tout mon parcours professionnel a été lié à ça. À Lyon, il y a une école qui est très pointue sur la BD [Émile Cohl], mais ils ont un enseignement qui est très académique. Ça ne m’a pas attiré. J’étais prise dans cette école de dessin, mais j’ai préféré choisir une école qui était moins connue, mais où on avait une espèce de grande liberté, où on apprenait à travailler sur les concepts. Pour moi c’est ça qui est important.
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On comprend d’autant mieux votre parcours. Vous avez travaillé environ une décennie pour des grandes agences de publicité, puis 14 ans pour une agence d’architecture d’intérieur, et vous êtes également illustratrice freelance. Comment ces trois approches totalement différentes du dessin, ont influencé votre trait ?

Quand j’étais en agence de pub, on travaillait sur comment communiquer avec l’image et si quelque chose était mal dessiné ce n’était pas grave… Ça m’a beaucoup appris et je pense que c’est important d’avoir ça en tête. En architecture, j’étais dans la branche graphique de l’agence. J’étais vraiment sur le dessin. Quand j’ai choisi de faire ce métier, j’avais besoin de structurer ma pensée parce que ça partait un peu dans tous les sens, et en archi on a toujours besoin de s’inscrire dans des projets et aussi d’être beaucoup plus réfléchi, logique. Cela m’a aussi beaucoup apporté. Et cette expérience en architecture est totalement complémentaire de mes années dans la pub. En architecture, on doit être capable de travailler pendant très longtemps sur une simple feuille, alors qu’en pub on change tout le temps.

Et la rigueur n’est pas la même non plus !

Oui, d’ailleurs l’archi m’intéressait aussi parce que cela me forçait à dessiner et travailler mes perspectives. Ce que ça m’a appris vis-à-vis des livres, c’est le rapport qu’on peut avoir aux objets et aux lieux de vie. Cette dimension-là est hyper importante. Dans mon prochain livre, il y a un vrai rapport entre mes personnages et leurs lieux de vie. Et je trouve que cette dimension psychologique des choses est intéressante. La façon dont les gens abordent leur maison, leurs objets… En fonction de leurs moments de vie aussi, ça change. J’ai une amie qui avait une brocante et j’allais l’aider. Les gens racontaient au travers d’un objet tout ce qu’il y avait autour, et ça, je trouve que c’est vraiment passionnant !

Justement, les objets ont une place essentielle dans votre bande dessinée. Tout autant que votre travail de cadrage, vos hors-champs et la pudeur sensible qui s’en dégage. Comment avez-vous procédé pour avoir un tel rendu ?

J’ai beaucoup été inspirée par le cinéma. À chaque fois que je regarde un film, je ne peux pas m’empêcher de regarder comment les choses sont cadrées. J’ai par exemple vu il y a peu de temps Portrait de la jeune fille en feu et je pense qu’il va beaucoup m’inspirer. Il y a un traitement de l’image, des cadrages, des superpositions de profils très réussies. Ce sont toutes ces choses, que certains ne relèvent même pas, qui sont marquantes pour moi.

Comment fait-on pour éviter de tomber dans le maniérisme et trouver la justesse de ces représentations intimistes ?

Je ne sais pas vraiment. À vrai dire, je ne me pose pas tellement la question, c’est assez instinctif. Je sais comment mes personnages vont bouger. J’observe et j’essaie de retranscrire au mieux ce que je veux faire passer.

Portrait de la jeune fille en feuVos personnages vivent en vous ?

Oui, je les accompagne. Par exemple, Shimura, il y en a beaucoup qui ne l’aiment pas et me disent :« Ah, il m’a énervé ! ». Mais moi j’avais de la sympathie pour lui. Même si je sais qu’il est très maniaque et mal dans sa peau, je l’excuse. J’aime bien me mettre dans mon personnage. Et c’est d’ailleurs ma difficulté aujourd’hui. Comme je suis beaucoup dans Nagasaki avec sa promotion, j’ai du mal à me mettre dans les personnages de mon nouveau livre. Je me dis qu’il est temps que ça se finisse pour que je puisse m’immerger dedans. J’ai besoin de ça et j’ai très envie de m’y mettre. Et quand je suis lancée, je dessine tout le temps.

Vous n’aviez pas peur d’être en panne devant la représentation de tous les petits riens de cette histoire ?

C’était ma principale crainte. C’est un livre dans lequel il ne se passe pas grand-chose, il n’y a pas d’action, on parle de quelqu’un qu’on ne voit pas, d’un invisible. Il y a beaucoup de bruits de cigales, le temps y est lent… on se demande forcément comment on pourrait mettre ça en images. Donc j’y suis un peu allée comme ça, en me disant qu’on verrait bien comment je m’en sortirais. J’avais les mots, mais tout l’univers visuel il fallait que je le travaille moi-même.

Et pourquoi avoir eu envie de le faire sous forme de bande dessinée. Pourquoi ne pas vous être lancée sur des dessins pour une édition illustrée, par exemple ?

En fait, si ça n’avait été que des illustrations sur un texte, j’aurais certainement eu moins mon mot à dire qu’avec une BD, dans laquelle on est obligé de s’approprier les choses. J’ai choisi le texte, travaillé les coupes et évité les redites avec le dessin. À chaque fois que j’ai utilisé les textes d’Éric Faye, je les ai utilisés dans leur intégralité. Il n’y a que les entrées de scènes que j’ai écrites et qui n’existent pas du tout dans le livre. Et il faut aussi tout simplement dire que j’avais envie de faire une BD. C’est quelque chose que je voulais faire depuis toujours, mais que je ne faisais pas parce qu’il fallait que je gagne ma vie, tout simplement.

Vous profitez de vos cachets d’illustratrice pour vous permettre de créer vos bandes dessinées ?

Oui. Ça permet d’équilibrer mes revenus et en plus j’adore ça. C’est un sujet dont on parle beaucoup en ce moment : ce serait très difficile de ne vivre que de mes bandes dessinées.
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C’est la situation précaire du statut d’auteur qui vous freinait ?

Oui, j’avais des amis qui n’arrivaient pas à vivre de leurs écrits… Tous mes emplois ont toujours tourné autour du dessin parce que je cherchais tout le temps un « vrai » métier, un métier qui me permettait de vivre tout en faisant ce que j’aime. J’ai eu la chance d’avoir eu ces deux métiers qui m’ont permis de bien gagner ma vie. Mais finalement la bande dessinée était ce que je voulais faire depuis le début.

Et vous êtes donc une grande lectrice de BD ?

Pas tellement. Je lis des BD, mais je n’en lisais pas vraiment avant. Donc je n’ai pas une culture importante du genre. Je ne connais pas les grands classiques, par exemple. Par contre, je lis beaucoup de choses alternatives.

Qu’est-ce qui vous plait dans la BD ?

C’est sa grande liberté. Si au début je n’ai pas trop lu de BD, je pense que c’est parce que c’était trop enfermé dans un mode de cases, avec un principe de gaufrier et tout ça. C’est un mode de lecture qui m’était difficile. Par contre, aujourd’hui, ça s’est énormément ouvert et c’est cette grande liberté qui m’intéresse. On peut tout choisir, tout écrire, tout dessiner. Dessiner des histoires, c’est ce que je fais depuis toujours en fait. Même dans mes illustrations, c’est toujours ce que je fais, car il y a des choses fictives qui se rajoutent à des choses réelles.

Et y a-t-il des auteurs qui vous ont particulièrement influencée ? En lisant Nagasaki, on pense à Minetarō Mochizuki, et en particulier son travail sur Chiisakobé

Oui. J’étais justement ravie de rentrer au Lézard noir, car Chiisakobé y était édité. J’adore le travail de cet auteur et, pour ce titre aussi, il a décidé de travailler à partir d’une œuvre originale, donc ça me parle.

Et il y a d’autres auteurs qui vous ont marquée ?

Ce sont plutôt des bouts d’œuvres… Je suis très visuelle et je pioche ici et là ce qui me plait. Mais j’essaie quand même de ne pas trop me laisser influencer. D’ailleurs, à Angoulême, c’est très difficile, car on est sollicité de toutes parts.

Et en dehors de la bande dessinée, qu’est-ce qui vous a construit en tant qu’autrice ?

Tout. En réalité, je pioche de partout. De Vermeer à des illustrateurs contemporains, des travaux d’amis… Et il y a le cinéma aussi. Surtout le cinéma Nouvelle vague et le cinéma japonais. En particulier les films de Hirokazu Kore-eda et ceux de Naomi Kawase. J’adore. Mes sources d’inspirations sont davantage là que dans la BD.

Nagasaki est votre toute première BD, et c’est en même temps la toute première création du Lézard noir. Comment s’est passée votre rencontre ?

J’avais choisi une dizaine de maisons d’édition, que j’avais ciblées par rapport à leur ligne éditoriale. J’avais envoyé un PDF et ma note d’intention, mon scénario, mes planches. J’ai proposé mon projet au Lézard noir, car justement j’adore Chiisakobé et La Cantine de minuit… Mais bon, je m’étais de toute manière dit que ça n’allait pas fonctionner, car j’étais française et qu’il ne faisait pas de création. Et finalement, ça s’est fait très vite. C’était assez étrange, car je m’attendais à ce qu’on me réponde au bout de six mois, alors que le soir même un premier éditeur m’appelait et, deux jours après, c’était Stéphane Duval du Lézard noir.
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Est-ce que vous savez ce qui lui a plu dans votre adaptation ?

C’est ma manière de dessiner qui l’a interpelé. Et il s’y est attaché tout du long. À un moment donné je m’étais dit que ce serait peut-être bien de le traiter en noir et blanc, un peu comme les autres livres qu’il édite. Mais non, il a insisté un long moment pour garder le livre en couleurs et je l’en remercie, car j’avais vraiment un doute.

C’est intéressant, car on est justement sur une BD atypique de par son format, sa narration et son dessin. Comment en êtes-vous arrivé à ça ?

Comme j’étais directrice artistique, j’ai gardé l’habitude de me mêler de tout. Pour moi, le support et le choix du papier sont importants. La typographie aussi. Ici, je l’ai écrite à la main et elle est différente entre l’homme et la femme, car cela a un sens pour moi. Pour ce qui est du format, je voulais garder cette mémoire du roman littéraire. Au départ les éditeurs me disaient : « C’est super beau, on peut en faire un grand format avec une couverture rigide. » Moi je voulais vraiment un format roman à couverture souple, un papier crème qui correspond bien au Japon où les choses ne sont pas blanches et clinquantes. J’ai vraiment eu de la chance de tomber au Lézard noir, d’être écoutée et de pouvoir faire comme je le voulais.

Comment avez-vous procédé pour créer cette BD ?

Je suis parti du principe que j’en avais pour un an et demi et que si je devais trouver les solutions à tout, maintenant, ce serait trop long. J’ai donc choisi d’y aller au fur et à mesure, de manière chronologique, page après page. J’avais mon ambiance, j’avais mon traitement de l’image, mon plan d’appartement et le personnages, c’est tout. Après, je me suis lancée comme si je vivais l’histoire en même temps qu’eux. J’avais de la chance d’avoir un roman très bien écrit à côté de moi et j’ai fait confiance à ça. Ma question de tous les jours était en fait comment éviter d’être redondante. Comment éviter de dessiner exactement ce que je lis. C’était important pour moi, car je pense que ma place est là aussi.

Vous n’encrez pas vos planches et vous dessinez directement vos dessins à la gouache. C’est un processus assez rare en BD. Pourquoi ce choix ?

J’avais envie de travailler de manière un peu lente. Et je trouve que la gouache va bien avec le Japon. L’aquarelle aurait pu être une évidence, l’encre aussi, mais avec la gouache il y a un côté mat et un côté accidentel qui me plaisait.

Vous n’utilisez pas de case, et vous avez gardé une grande liberté avec des planches de toutes sortes. Certaines pleines de texte ou pleines de dessins, d’autres avec des illustrations pleines pages, d’autres encore remplies de petites illustrations… Comment est-ce que vous avez travaillé ça ?

C’est assez intuitif. C’est par rapport à l’histoire et par rapport à ce qu’elle racontait à ce moment précis. Par exemple, si la planche du métro est dans ce sens-là, ce n’est pas pour rien, j’avais envie de dessiner une dynamique, une rupture.

 

Nagasaki.inddLe roman est très court et n’est pas en découpé en scènes, pourquoi avoir fait ce choix pour l’adaptation ?

Ça donne un rythme et ça articule l’histoire. Et j’ai appelé ça « scène », car ça me faisait penser à « scène de crime ». Par rapport au fait divers, il y a un petit jeu de mots qui me plaisait. Tous les textes d’entrée de scène étaient dans le roman, mais je les ai passés à la troisième personne pour amener une narration, une troisième personne qui pourrait être le journaliste qui a retracé l’histoire dans la presse ou tout simplement un deuxième voyeur. Il y avait comme ça une sorte de recul que je trouvais intéressant.

Comment avez-vous travaillé le reste du texte ?

Le texte n’est pas du tout utilisé dans son intégralité. À chaque fois que j’en ai pris, j’ai décidé de prélever très exactement ce qu’Éric Faye avait écrit. Il a une manière d’écrire qui est très particulière et par moment ça peut même paraître un peu compliqué à lire. En réalité, c’était une de mes appréhensions, car c’est un mode d’écriture qu’on ne voit pas trop en BD. J’avais peur que le lecteur se perde à certains moments. Quand c’est écrit dans un roman où on ne s’arrête pas pour regarder les images c’est plus facile, mais là ce n’était pas toujours aussi évident.

Pourquoi avoir pris le risque de le garder tel quel du coup ?

Parce que je trouve que c’est tellement bien écrit que j’avais envie de respecter ce travail d’auteur. J’aurais trouvé dommage de l’abimer. Je ne suis pas écrivaine. Si j’avais réécrit les mots d’Éric Faye, ça aurait été beaucoup moins bien écrit et ça aurait été d’une prétention absolue.

Votre prochaine BD parlera-t-elle aussi du Japon ?

Non, mais ce sera encore une adaptation. Au début, je voulais chercher un autre éditeur, notamment parce qu’on sort du thème japonais et que je n’aime pas rester dans des cases. Mais Stéphane Duval m’a quand même demandé de lui montrer mon projet, car il était prêt à s’ouvrir sur autre chose que le Japon. Finalement, il a tout de suite adhéré.
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Garderez-vous ce même principe d’adaptation en gardant fidèlement le texte source ?

Je ne sais pas. Ce n’est pas du tout un jugement de valeur sur le texte, mais c’est juste que par rapport à mon histoire et ce que j’ai envie de faire passer, je me dis qu’il serait peut-être mieux que je l’adapte.

Vous ne vous sentez pas encore prête à écrire vous-même une histoire ?

Pour le moment, j’aime tellement la littérature que non. Et en agence de publicité, j’avais tellement l’habitude de travailler avec des rédacteurs que j’ai pour le moment l’habitude de faire des allers-retours, même si ici ce n’est qu’avec le texte.

Propos recueillis par Rémi I.

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Nagasaki.
Par Agnès Hostache d’après le roman d’Éric Faye.
Le Lézard noir, 22 €, 196 pages, 22 août 2019.

Images © Agnès Hostache / Le Lézard Noir 2019
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