Album de famille
« Toutes les familles sont psychotiques » annonçait le titre d’un des livres de l’écrivain américain Douglas Coupland. Si là n’est pas tout à fait le cœur du sujet du roman graphique Album de famille de la Suédoise Asa Greenvall, il est néanmoins bien question des rapports ambigus entretenus par les membres d’une cellule familiale somme toute ordinaire, désormais éclatée. Mari, jeune adolescente rebelle, subit la tentative de viol de l’ami de la famille, Ragnar. Choquée puis marginalisée, Mari se retrouve isolée. Ragnar, lui, se rabat sur sa mère, qui quitte ensuite mari et enfants…
Des années plus tard, les personnages s’expriment tour à tour pour communiquer leur vérité, partielle et partiale, nourrie de non-dits, de souffrances larvées, d’incompréhensions, d’émotions tues, d’interrogations ou de désirs honteux. Il y est question de désamour aussi entre une mère et sa fille, jusqu’à la rupture définitive, salutaire ici. « Je l’ai élevée dans un esprit d’indépendance, c’est vrai, mais elle s’est transformée en monstre », confesse la mère, quand sa fille pointe l’absence de relations comme un bienfait une fois adulte : « Pourquoi les mères sont-elles sacrées à ce point ? J’ai arrêté d’aller mal parce que je n’avais plus de contact avec ma mère. » Chacun tente de défendre sa parcelle de vérité, de justifier un geste, une attitude ou une parole, Asa Grennvall confrontant les points de vue et les rancœurs pour mieux révéler la viscérale incommunicabilité propre à toute cellule familiale. Il en ressort des portraits précis, fins et surprenants. L’inquiétant Ragnar, puis une sœur plutôt bienveillante et sincère… Pris à témoin, le lecteur se projettera facilement dans ce récit dur et touchant, violent par moment, tant l’analyse psychologique, débarrassée de tout jugement moral, ausculte le mal-être et l’incompréhension réciproque.
Mais l’auteure pèche toutefois là où elle avait brillé dans son précédent livre 7e Étage. Trop de bavardages diluent l’efficacité du propos. Et conjugués à un dessin trop naïf sur la durée, on obtient une bonne BD mais pas une grande BD comme on l’aurait espéré. Sans perdre de vue l’essentiel : Asa Grennvall prouve qu’elle est une valeur sûre dans sa capacité à saisir l’essence d’un drame psychologique, à bonne distance entre analyse et empathie. Ce qui est déjà pas mal.
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