Alexandre Clérisse sonne le clairon
Marcel est un vieillard de 85 ans qui s’ennuie. «Me regarde pas comme ça ! C’est pas encore le moment», lance-t-il au cimetière qui le nargue, usant du franc-parler qui le caractérise. Râleur et miro, il accueille sa petite-fille Andréa. Et en profite pour lui raconter « sa » guerre, celle de 1939-1945, et particulièrement l’abandon de son clairon, qui brillait un peu trop au soleil et risquait d’attirer les Allemands…
Aux manettes de Trompe la mort, une histoire plutôt tendre, Alexandre Clérisse, 28 ans, auteur du bluffant Jazzclub (Dargaud, également lisible en ligne ici). Il détaille la genèse de son nouvel album.
Votre livre est dédié à vos deux grands-pères, dont «Marcel le prisonnier». Il s’agit donc d’une histoire vraie?
Disons qu’elle est librement inspirée de ce qui lui est arrivé, et que mon grand-père partage avec mon personnage beaucoup de mimiques. Depuis que je suis tout petit, il me raconte l’histoire de son clairon, qu’il a enterré dans les Ardennes avant d’être fait prisonnier par les Allemands. À la différence de mon héros, il ne l’a jamais retrouvé. J’ai donc imaginé qu’il partait à sa recherche, et j’ai brodé autour.
Une chose en particulier vous a-t-elle poussé à dessiner ce récit familial?
Je m’y étais déjà attelé il y a une dizaine d’années, en bandes dessinées toujours, mais par un biais plus loufoque et noir, très éloigné de l’univers chaleureux de Trompe la mort. Je n’avais pas trouvé le bon angle pour en parler. Avec le temps, j’ai pris du recul, je me suis senti prêt. Et puis mon grand-père étant très âgé, j’avais envie qu’il voie le livre. Ce fut un de mes moteurs.
Quel regard portez-vous sur la guerre?
J’avais envie de l’aborder, de parler de patriotisme, d’analyser un peu comment les jeunes voient tout cela aujourd’hui. Le personnage de la petite-fille, Andréa, annonce clairement la couleur: en cas de conflit armé, elle partirait à l’étranger ou irait manifester dans la rue. Pas question pour elle de partir la fleur au fusil, la situation lui semble complètement inimaginable.
Vous êtes-vous beaucoup documenté?
J’ai emmagasiné ce que me racontait mon grand-père au fil des années, et j’ai mené beaucoup de recherches historiques. J’ai tenté de retrouver l’esprit de l’époque en lisant des lettres de soldats et des récits de bataille.
Votre imagerie guerrière est bien différente de celle d’un Tardi, par exemple…
Une guerre est toujours dramatique, mais je souhaitais en proposer une autre représentation. La mienne se passe en juin dans les sous-bois, il fait beau et chaud. Cela change déjà beaucoup l’ambiance. J’ai choisi des couleurs vives, mais chaudes, pour garder un peu de lourdeur et créer un léger sentiment d’étouffement. Je ne voulais pas d’une véritable noirceur, puisque mon sujet n’est pas la guerre. Je cherchais plutôt à raconter l’histoire d’un personnage, à laquelle elle sert de décor.
Quelle technique utilisez-vous pour réaliser vos planches?
Je travaille directement sur ordinateur avec le logiciel de dessin vectoriel Illustrator, qui diffère de Photoshop. Il permet d’effectuer des sortes de collages de matières découpées. Le résultat est plus proche de la peinture que du dessin. Je ne fais pas de crayonnés, je joue avec les formes et j’applique les couleurs directement, qui jaillissent sans étapes intermédiaires. Cela se fait de façon instantanée, et très spontanée. Pour Trompe la mort, j’ai voulu un dessin plus détaillé que dans Jazzclub, avec beaucoup d’ombres et de lumière. Mais cette technique s’est révélée fatigante: elle est non seulement usante pour les yeux, mais on perd le contact avec le papier. Je ne pense pas la réutiliser. Je vais délaisser mon ordinateur et reprendre mes crayons!
Comment êtes-vous arrivé dans le milieu de la bande dessinée?
Après des études de communication visuelle, j’ai intégré l’Ecole Supérieure de l’Image d’Angoulême pour une formation en bandes dessinées, un domaine que je visais depuis l’enfance. En 3e année, l’un de mes professeurs, le scénariste Thierry Smolderen, m’a proposé de publier le projet sur lequel je travaillais sur le site Coconino. Ça a avancé assez vite, et j’ai fini par proposer Jazzclub – puisque c’est de cela qu’il s’agissait – à plusieurs éditeurs. Dargaud s’est montré intéressé, et l’a publié. Ce fut en quelque sorte un conte de fées! Aujourd’hui, je continue mes travaux d’illustration, et je n’ai pas de nouveau projet BD signé. Mais j’écris des choses, je rencontre des scénaristes…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
À voir: les travaux d’Alexandre Clérisse sur le blog de l’exposition Gingko.
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Trompe la mort
Par Alexandre Clérisse.
Dargaud, 14,50 €, le 17 avril 2009.
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