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Alfred, la renaissance

25 novembre 2013 |

alfred_come_prima_introCome prima est pour Alfred l’album d’une renaissance. Face à un blocage mental rendant impossible l’acte de dessiner, il  prend des notes disparates et remplit ses carnets de dessins automatiques. Au fil d’un processus s’étalant sur près de cinq ans, il fait naître une histoire touchante autour de ses aïeux italiens: le voyage de deux frères éloignés depuis longtemps, traversant la France et l’Italie pour rendre un dernier hommage à leur père. Le dessinateur de Pourquoi j’ai tué Pierre et Je mourrai pas gibier explique son cheminement vers l’apaisement et son retour au premier plan.

alfred_come_prima_boxeLa création de ce livre a été chaotique. Pourquoi ?

Cet album est né d’une plongée de cinq ans au coeur de la tempête. J’étais face un blocage: pendant près d’un an, impossible de dessiner, impossible de trouver quelque chose de neuf à sortir de moi-même. À me demander si je n’étais pas arrivé au bout de ce que j’avais à donner en tant que dessinateur… Tout en constatant que je ne savais faire que ça. C’est arrivé au moment de la naissance de ma fille, de notre déménagement en Italie – j’ai de la famille là-bas…. Des choses avec mon père et mes frères sont remontées…

Ce sont ces émotions qui ont donné Come Prima ?

Comme je ne parvenais plus à dessiner, j’ai commencé à jeter des notes, sans intention particulière, pour m’extirper de cet embouteillage mental. Ces premières notes étaient bourrées de colère, et quand je me rends compte que des fils narratifs peuvent en être tirés, que les choses s’agencent autour d’une possible histoire, je n’ai plus envie d’écrire une lettre de rupture, mais plutôt une lettre d’amour. Mon récit change alors complètement.

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alfred_come_prima_carnet1Pourquoi ?

Une analyse est passée par là, certaines choses deviennent alors plus claires et calmes dans ma tête… Il aurait peut-être été plus facile de foncer dans la première direction que j’avais prise, mais ça ne me correspondait plus. Je jette donc mon premier synopsis, et je décide d’improviser, de suivre mes personnages. Au final, j’ai jeté plus de 50 pages ! Je ne compte jamais mes heures de travail – j’ai choisi ma vie de dessinateur, je sais ce qu’elle implique – mais c’était la première fois que je jetais autant!

Comment avez-vous débloqué votre dessin ?

J’ai notamment suivi les conseils de Lorenzo Mattotti, qui m’avait parlé de sa traversée du désert personnelle. Il m’a dit de faire des dessins juste pour moi, de m’arrêter quand j’en avais marre, pour retrouver une manière de mettre en phase mon énergie propre et mon geste de dessin. J’ai donc rempli des carnets, ouvrant une page blanche chaque jour et me laissant aller, comme un exercice, une thérapie. J’ai le sentiment d’avoir découvert une nouvelle manière de gérer mon énergie et d’avoir pu appliquer ce principe dans Come Prima. Ce livre m’a permis de retrouver un équilibre.

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L’album se crée donc dans l’improvisation et les dessins « automatiques »…

Plus ou moins. Je fonctionne plus avec le ventre qu’avec la tête. Un peu comme mes personnages – même si je n’ai vu l’analogie qu’après coup – j’ai suivi un chemin semé d’embûches, avec des surprises à chaque détour… En me lançant, je ne savais pas exactement comment se conclurait le récit, et j’imagine qu’il aurait été plus évident de le faire se terminer par quelque chose de tragique… Mais je ne pouvais pas faire vivre à mes personnages ce que j’étais moi-même en train de vivre. Donc Come Prima est plutôt un livre de réconciliation qu’un règlement de comptes.

alfred_come_prima_fille$Graphiquement, vous alternez une ligne claire limpide qui évoque Loustal, avec des images comme sérigraphiées et des passages beaucoup plus lâchés.

C’est ma façon de travailler, toujours un peu bricolée, toujours en recherche d’outils nouveaux pour exprimer ce que j’ai à dire. Cela renvoie d’ailleurs aux références culturelles italiennes des années 1950-60 présentes dans le livre: à l’image du cinéma de cette époque, mélange étonnant de critique sociale et d’humour, tout était fait dans une sorte d’ « à peu près », mais toujours avec beaucoup de sérieux! Je me retrouve bien dans cet esprit-là. Concernant mon dessin, effectivement, j’admire le travail de Loustal, de François Avril également. Dans Come Prima, dès le départ, je voulais distinguer deux temps de narration: d’un côté, le voyage des deux frères; de l’autre, un bric-à-brac d’images, comme un puzzle de souvenirs. Cela m’est venu d’un concert de Daniel Darc: dans le refrain d’une de ses chansons, l’ordre des phrases changeait ou juste un ou deux mots, révélant quelque chose de très fort à la fin. J’ai oublié ce qu’il chantait, mais je me suis laissé submerger par l’émotion. À mon sens, les souvenirs fonctionnent de la même manière, ils sont en désordre, on les recompose, on les interprète. J’ai voulu traduire cela en dessin, en mêlant des images pas toujours précises, pas toujours limpides, mais qui suffisent pour raccorder entre eux des éléments et s’imaginer une histoire.

alfred_come_prima_souvenirCar il s’agit bien d’une fiction.

Oui, je ne me suis pas autorisé à raconter la vie de ma famille, car il aurait fallu que j’invente des choses pour « boucher les trous » et je ne me sentais pas à l’aise pour le faire. Mais j’ai bien entendu pioché dans l’histoire de mon grand-père communiste et de son frère Chemise noire, dans cette division qui a pesé sur la famille. Et dans les histoires qui font fantasmer quand on est enfant, avec des revolvers, des chapeaux de travers, des bateaux pour l’Afrique..!

Pourquoi ce titre, Come Prima ?

Je tenais à un titre en italien, mais qui ne soit pas complètement étranger aux oreilles des Français. Il signifie « comme avant » et évoque évidemment la chanson de Dalida. Qui s’est avérée avoir été écrite en 1958, année où se déroule mon histoire. Je vous assure que c’est un hasard!

Quels sont vos projets?

Je termine un épisode de Donjon, sur l’invitation de Lewis Trondheim et Joann Sfar, qui conclura la série avec celui de Mazan. Une proposition ludique et jouissive qui ne se refuse pas! Car j’aime autant chialer dans mon canapé en regardant un film italien des années 1960 que rigoler en lisant des Donjon. Travailler sur cette série, c’est comme jouer avec des marionnettes du Muppet Show, je dispose d’une grande liberté graphique dans le respect de certains codes. Cela nourrit mes autres boulots. Par ailleurs, avec le scénariste David Chauvel, nous suivons pendant une année Étienne Daho dans la création de son nouveau disque, pour produire une sorte de bande dessinée « making of ».

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Come Prima.
Par Alfred.
Delcourt/mirages, 19,99 €, le 2 octobre 2013.

Images © Alfred/Delcourt – Photo Olivier Roeller

Merci à Alfred pour les photos de ses carnets.

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