Alfred sur un air de Daho
Dans Daho, l’homme qui chante, le dessinateur du plébiscité Come Prima, suit le monstre sacré le plus discret de la chanson française, Étienne Daho. Avec son ami David Chauvel, ils ont accompagné pendant trois ans le chanteur, de la création de l’album Les Chansons de l’innocence retrouvée à la tournée qui a suivi l’album. Rencontre parisienne avec le dessinateur bordelais Alfred, 39 ans, avant son départ pour le rendez-vous malouin de la BD, Quai des Bulles.
Quel a été votre quotidien depuis le succès de Come Prima ?
J’ai été particulièrement occupé par mes dessins et mon exposition « Italiques ». C’est un projet que j’ai accompagné dans les différents lieux d’exposition et qui était comme une suite logique ou une prolongation de Come Prima, par cette évocation de l’Italie. Il y a eu également des performances dessinées, exercices que j’apprécie tout particulièrement, avec Olivier Ka ou Richard Guérineau, entre autres. J’ai pris le temps de me retrouver dans mon atelier bordelais avec mes camarades. C’est un atelier que nous occupons depuis une quinzaine d’années, qui se nomme Flambant Neuf… rebaptisé ainsi après l’incendie qui le ravagea il y a sept ans. Sans oublier les illustrations et les histoires courtes, pour la presse dessinée. Et puis le travail sur Daho est un travail qui nous a occupés pendant trois ans, de 2012 à 2015, par intermittence. Car je devais gérer à la fois Come prima, sa sortie et les sollicitations qui en ont découlé et, en même temps, je me devais d’être avec David pour les moments importants de la création de l’album d’Étienne, comme les séances d’enregistrement à Abbey Road. Ce fut une période très dense, d’où aussi ce besoin de me retrouver dans notre atelier bordelais.
Cet album marque, c’est vrai, vos retrouvailles professionnelles avec David Chauvel.
Disons plutôt nos retrouvailles artistiques : il y a une douzaine d’années, nous avons publié ensemble Octave, une série jeunesse. Mais David est un ami très proche, il ne m’a jamais vraiment quitté ! Il est, par exemple, l’éditeur de Come Prima. Des fois, c’est un peu troublant : on ne sait pas si on parle à son ami, son collègue ou son éditeur ! Pour Daho, l’homme qui chante, le travail à deux a été essentiel. Nous nous déplacions quasiment toujours à deux. C’est important car cela nous permettait de confronter différents points de vue. Par exemple, dans les scènes au studio d’enregistrement, beaucoup de choses se passent. Moi, comme je crayonnais sur mes carnets, je relevais toujours des détails alors que David avait souvent une vue d’ensemble. Cette collaboration a donc été nécessaire.
Pourquoi avoir choisi ce sujet, en particulier ?
Daho est un artiste que David et moi avons en commun, et que nous écoutons depuis longtemps. Depuis un moment, David me parlait de son envie de parler de musique en bande dessinée. Et puis Étienne a sorti ce disque, avec Jeanne Moreau, sur le texte de Jean Genet, Le Condamné à mort. Cet album nous a beaucoup impressionnés, et rapidement, l’envie d’approcher la création d’un album, à travers la démarche d‘Étienne, s’est imposée.
Vous avez fait certains choix graphiques, comme l’utilisation de deux couleurs dominantes.
Le rouge et le bleu n’ont aucune signification particulière, et aucun lien avec le drapeau français, comme on me l’a parfois demandé… J’ai travaillé avec un crayon à deux faces avec lequel je griffonne sans cesse sur mes carnets ! En fait, j’ai commencé ce livre sans savoir comment je le dessinerai. Alors, j’ai pris des notes, j’ai fait des croquis, sur mes carnets. Et puis ce fut presque comme une évidence : ce livre serait comme un carnet de bord, un carnet de voyage – d’où parfois l’aspect plus brut, les multiples traits. L’effet recherché, c’est celui d’un carnet de croquis qui témoigne d’une expérience, d’un moment. Puis j’ai varié les approches : quelques planches plus classiques, le choix d’un dessin minimaliste pour les entretiens…
Et pour le son ?
Je ne souhaitais pas utiliser des notes de musique qui s’envolent pour signifier la musique. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment aimé qu’on utilise cette méthode pour signifier l’existence d’une mélodie dans une scène dessinée. Je suis moi-même musicien mais je ne lis pas la musique : cela n’a donc pas vraiment de sens pour moi. Ce sont donc plutôt les vibrations que j’ai décidé de représenter, mon dessin devait, par ses envolées représentées par des volutes, traduire le son tel que je le percevais. L’expérience se devait donc d’être plus sensorielle, de l’ordre de l’instinctif, du sensuel.
Comment dessine-t-on un chanteur aussi connu ?
Ce fut une réelle difficulté. Ce n’est pas une personne facile à dessiner. Disons plutôt que j’avais certaines exigences : il fallait éviter l’aspect caricatural tout comme l’aspect photographique. Je voulais que cela reste une interprétation, mon interprétation. Il a fallu que je trouve un point d’équilibre entre tout ça.
Vous dessinez tous les acteurs, sauf vous.
Dans ce carnet de bord accompagnant la création de cet album, il était important que nous ne soyons que des observateurs, des témoins invisibles. Artistiquement, il m’est arrivé de me représenter, et j’aime beaucoup quand certains de mes collègues – comme Guy Delisle – le font : ça se justifie car c’est l’auteur interroge une situation en tant qu’interrogateur faussement naïf. Ici, il était important qu’on s’efface. Nous n’étions pas là pour interagir sur les événements, mais seulement les observer.
On sent que vous abordez le personnage Daho avec une certaine pudeur. Pourquoi ne pas avoir creusé la part intime du chanteur ? Était-ce une contrainte imposée ?
Pouvoir assister à ces étapes d’enregistrement en studio était, justement, une grande part de son intimité, lui qui, par le passé, n’a jamais souhaité que trop d’images soient faites de ces moments. Étienne Daho fait très attention à son image, comme beaucoup d’artistes. J’ai surtout compris qu’il percevait son art comme un tout, comme pouvait le faire une de ses idoles, David Bowie : chansons, tenues vestimentaires, choix scéniques, pochette de l’album… tout est fait dans un même mouvement. Il y a donc un réel contrôle de tout ça. Mais pour nous, ce fut une liberté totale. Étienne nous a fait entièrement confiance. L’angle d’attaque est celui du documentaire, celui de la création, de la réalisation et de la tournée qui suit un album. Cela nous évitait de nous poser la question de savoir ce que nous devions dire ou pas de Daho. On ne s’est pas autocensuré car nous ne souhaitions pas, de toute façon, tomber dans le voyeurisme ou une approche « people » du personnage. Cela n’a jamais été notre objectif. Si certains éléments personnels, ses passions artistiques comme Francis Bacon ou David Bowie, ou des évènements de sa vie, comme la péritonite dont il a souffert, venaient nourrir son inspiration ou interférer dans l’acte de création, alors oui, nous en parlions.
Étienne s’est vraiment investi, et s’est rendu immédiatement disponible quand nous avions besoin de le voir. Il a fait preuve de beaucoup de générosité artistique. Quand il a lu le livre – nous nous étions engagés à lui faire relire – il a été très touché et a décidé d’accompagner la sortie de l’album en participant à des entretiens et des présentations avec nous, alors que ce n’était pas vraiment prévu. Pour nous, c’est une belle récompense.
Propos recueillis par Marc Lamonzie
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Daho, l’homme qui chante.
Par Alfred et David Chauvel.
Delcourt, 18,95 €, le 21 octobre 2015.
Images © Alfred/David Chauvel – Delcourt – Photo © Chloé Vollmer-Lo
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