Alison Bechdel: chacun cherche sa mère
Attention, œuvre atypique ! Après avoir publié en 2006 Fun Home, où elle évoquait sa relation compliquée avec son père, l’Américaine Alison Bechdel revient cette année avec C’est toi ma maman ?, un roman graphique ambitieux, déroutant et captivant, dans lequel elle décortique ses rapports avec sa mère. Mais c’est aussi une plongée dans son intimité, ses questionnements, sa vision du monde et du féminisme. Une bande dessinée foisonnante qu’il est impossible d’oublier une fois refermée. Entretien.
C’est toi ma maman ? est une bande dessinée complexe, qui mêle éléments autobiographiques et réflexions sur la psychologie et le féminisme. On y trouve notamment beaucoup de flash-backs. N’avez-vous jamais eu peur de vous perdre et de perdre le lecteur ?
Si, presque à tout moment ! C’était une expérience éprouvante mais je crois qu’être perdu, c’est l’essence même de l’écriture. Si nous connaissions d’avance notre chemin, nous n’aurions pas besoin d’écrire.
Quelle était votre idée de départ : parler de votre mère et de vos rapports avec elle ? De vous, du féminisme ?
Je voulais d’abord parler des relations humaines, des rapports que l’on entretient avec les autres, et ce, à travers mes histoires amoureuses. Faire quelque chose de très différent de Fun Home. Mais rapidement, et un peu malgré moi, je me suis mise à écrire sur ma relation avec ma mère, la plus fondamentale. D’ailleurs, en anglais, l’autre (« other ») et la mère (« mother ») ont un parallèle intéressant qu’on ne retrouve pas en français. C’est toi ma maman ? met aussi en lumière la façon dont ma mère m’a appris à être un auteur, là où Fun Home était un livre sur la façon dont mon père m’avait appris à être une artiste. En cela, les deux bandes dessinées ont un peu le même scénario, chacune étant le pendant de l’autre. Mais je pense que le noyau de ce livre reste le féminisme et les origines de la misogynie.
Comment votre famille a-t-elle réagi ?
Le seul véritable commentaire que ma mère m’ait fait après avoir lu mon livre a été : « hé bien, à la fin, tout cela se tient ». Certains membres de ma famille n’ont pas apprécié, et je ne suis pas sûre de savoir comment réagir à cela.
De quelle façon le dessin sert-il votre intrigue ?
Je me définis comme une dessinatrice laissant beaucoup de place à l’écriture ! Je ne pense pas que je pourrais raconter mes récits sans dessins. Ils me permettent de dire plus de choses qu’avec des mots : voyager à travers le temps et l’espace, donner de l’émotion, faire des associations d’idées, raconter deux ou trois histoires en même temps…
Quelles sont vos influences ?
J’ai beaucoup d’admiration pour de nombreux auteurs de bande dessinée, plus que je ne saurais l’avouer ! J’ai adoré Maus d’Art Spiegelman évidemment, mais aussi les travaux d’Howard Cruse, Charles Addams [l’auteur de La Famille Addams] ou Edward Gorey.
Pourriez-vous réaliser une BD complètement fictionnelle ?
En fait, j’ai du mal à comprendre le fonctionnement des auteurs de fiction. Je ne peux écrire des histoires que d’après ce que je connais même si, pendant des années [de 1983 à 2008], j’ai écrit un comic strip qui était essentiellement fictionnel [Dykes to watch out for — Lesbiennes à suivre, qui raconte les aventures d’une communauté de lesbiennes aux États-Unis]. Je préfère créer des histoires à partir de la vraie vie, même si elle est banale, qu’écrire des fictions. Mais on ne sait jamais, je n’en ai pas encore fini avec les personnages de Dykes.
Quels sont vos projets ?
Je laisse ma famille de côté ! Je travaille sur un autre récit autobiographique, autour du corps et de mon expérience, tout au cours de ma vie, vis-à-vis de l’exercice physique. J’espère que ce sera plus léger que mes deux œuvres précédentes !
Propos recueillis (par mail) et traduits de l’anglais par Marion Poinso
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C’est toi ma maman ?
Par Alison Bechdel.
Denoël Graphic, 24€, le 10 octobre 2013.
Images © Denoël Graphic. Photo © Elena Seibert
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