Alyte est un crapaud-accoucheur, un batracien qui porte ses oeufs sur son dos afin de leur trouver l’endroit idéal pour les faire éclore. Mais avant cela, Alyte a été un têtard trouillard, puis un jeune crapaud aventureux, qui a dû apprendre à survivre dans un monde peuplé de saumons, de canards, de bouquetins, d’aigles, d’arbres centenaires… Un monde meurtri aussi, coupé en deux par une route et son trafic automobile sanguinaire.

Après le mémorable Les Pizzlys, Jérémie Moreau revient chez 2024 pour un récit 100% animalier, comme Le Discours de la panthère. Mais là où ce dernier album prenait la forme de fables entrelacées, au rythme paisible voire contemplatif, ce gros volume est immédiatement porté sur l’action et le mouvement. Par son découpage hyper dynamique, ses mises en page inventives et sa narration haletante, Jérémie Moreau s’inspire de toute évidence du manga, sans le singer pour autant. En effet, la grande originalité d’Alyte est d’adopter le point de vue des animaux, pour mieux raconter le monde par leurs yeux. En avançant avec ce crapaud qui découvre la vie, sa beauté et ses dangers, le lecteur peut alors apprendre, s’émerveiller et trembler avec lui, et jouir d’un point de vue différent sur la nature sauvage et sa relation aux humains. Le changement d’échelle est toujours salutaire, car il permet de replacer l’homo sapiens à sa place, celle d’une espèce à l’appétit trop vorace, qui creuse rapidement sa propre tombe… Mais fort d’une ligne vive et de couleurs flash, Jérémie Moreau préfère chanter la vie plutôt qu’annoncer la mort, et tente de donner, si ce n’est de l’optimisme, un élan certain à son récit. Pour un album qui, s’il est peut-être moins surprenant que ses derniers titres, est on ne peut plus cohérent dans sa démarche artistique et écologique. Et donc tout aussi indispensable.