Amélie Fléchais et Jonathan Garnier, couple à dos de bouc
La dessinatrice Amélie Fléchais et le scénariste Jonathan Garnier collaborent pour la première fois sur Bergères guerrières, une prometteuse série d’aventure démarrée en juin chez Glénat. Cet univers celtique peuplé de courageuses bergères et de leur fidèles boucs permet aux auteurs d’aborder des thèmes qui leurs sont chers, tels que l’enfance et les rapports intergénérationnels. Rencontre avec ce couple de créateurs autour de la genèse du projet, de le parcours et de leurs envies futures.
Comment Bergères guerrières est-il né ?
Amélie Fléchais : J’ai été sollicitée par l’artiste Tarmasz pour participer à un petit livre collectif en autoédition qui s’appelait Cavalry, pour lequel la consigne était de faire une illustration avec des cavaliers. Cela m’ennuyait un peu de faire des chevaliers classiques en armure, et je ne sais pas comment c’est venu mais j’ai eu l’idée de dessiner de bonnes bergères sur leurs boucs avec des haches.
Jonathan Garnier : Quand j’ai vu les dessins d’Amélie, en tant que scénariste ça a fait « tilt », parce que ça donnait des héroïnes assez atypiques. En réfléchissant à la raison d’être de ces bergères guerrières, j’ai pu faire le pont avec des thématiques qui m’intéressent, par exemple ceux qui restent derrière en période de guerre. On parle souvent des hommes qui partent au front, mais on ne parle pas assez souvent des femmes, enfants et vieillards qui restent et qui doivent survivre eux aussi.
A.F. : Ce qui est intéressant, c’est aussi que ce sont des gens qui s’émancipent et qui prennent une autre place dans la société, comme cela s’est passé en France.
J.G. : Ensuite, naturellement, je me suis mis à avoir envie de développer l’univers et les personnages. Nous avions commencé à travailler ensemble sur un autre projet mais cela patinait un peu, alors nous sommes finalement partis sur les bergères, sur lesquelles j’avais déjà commencé à écrire.
Quelles sont vos inspirations pour cet album ?
J.G. : Il y a d’abord des paysages, ceux d’Écosse et des pays nordiques. Pour le village, nous avons pensé à celui d’Astérix. En termes d’écriture et d’ambiance, nous nous sommes inspirés d’Harry Potter, parce nous ne voulions pas une héroïne qui porte tout. Le personnage de Molly est assez classique, nous la voulions assez attachante et fédératrice, mais surtout, nous avons essayé de montrer qu’elle était entourée de sa famille et d’un tas de gens de générations différentes. Nous avions envie d’offrir des personnages à qui chacun pourrait s’identifier.
A.F. : Nous souhaitions faire une série jeunesse véritablement tout public, comme ce que nous lisions dans notre enfance. Que ce soit dans Astérix ou Lucky Luke, on retrouve toujours une galerie de personnages très diversifiés et attachants, et c’est ce que nous avions envie de recréer.
L’un des aspects marquants de la série, c’est justement sa brochette d’héroïnes loin des clichés. Ce qui est assez rare dans une BD jeunesse d’aventures.
A.F. : Je ne prétends pas connaître tout le marché de la BD jeunesse, mais j’ai l’impression que la plupart des albums qui mettent en avant une héroïne parlent de danse, de mode, d’équitation, ou alors de petites enquêtes… C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup d’aventurières.
J.G. : Notre but n’était pas non plus de marteler un message, de faire un album seulement féministe. Cela s’est fait naturellement, parce que notre histoire implique des héroïnes. Mais pour nous, il était aussi important d’avoir des figures masculines, et notamment le petit Liam. Dans ce genre de contexte, il y a aussi de jeunes garçons qui doivent trouver leur place, qui deviennent les hommes du village alors qu’ils ne sont qu’adolescents.
Sur quel aspect de l’univers vous êtes-vous le plus amusés ?
A.F. : De mon côté, j’ai vraiment aimé créer les designs des personnages, leurs caractères, leurs bouilles… C’est toujours chouette de pouvoir imaginer toute une galerie de personnages.
J.G. : Même chose pour moi. Quand je travaille sur un projet, ce qui me guide ce n’est pas forcément un concept ou une idée, mais avant tout l’envie d’écrire des personnages. On a beau avoir le meilleur scénario du monde, si les personnages ne provoquent rien, le lecteur n’adhérera pas.
A.F. : Oui, si le lecteur n’est pas inquiet ou triste pour les protagonistes, c’est qu’on a raté quelque chose…
J.G. : Et pour ce qui est de l’univers en général, nous voulions partir sur quelque chose d’assez classique, sans avoir à tout inventer, et nous avons opté pour un univers celtique.
A.F. : Auquel nous avons apporté quelques éléments fantastiques, mais ce n’est pas prépondérant.
J.G. : Il faut faire attention avec le fantastique, parce qu’on peut avoir tendance à se reposer dessus et à en oublier l’écriture des personnages.
Comment s’est déroulé votre collaboration ?
A.F. : Nous sommes en couple, alors nous échangeons toujours autour de nos projets, même quand ce ne sont pas des projets communs. Et pour l’instant, notre couple survit !
J.G. : Espérons que ça soit le cas jusqu’à la fin de la série au moins ! J’ai confiance, parce que c’est que c’est un projet qui est né de discussions et d’envies communes. Il n’y a donc pas de gros désaccord entre nous, sauf parfois sur des détails dans les dialogues ou le graphisme. En ce qui me concerne, j’ai un bagage de dessinateur plutôt académique, et je peux être un peu psychorigide…
A.F. : Et puisque que je suis plutôt dans un style illustratif, j’ai tendance à faire des perspectives un peu… stylisées on va dire. Et ça ne passe pas toujours. Heureusement, nous faisons tous les deux des arts martiaux, alors on peut se défouler un peu quand il y a de la tension !
Avez-vous d’autres projets ensemble après cette série ?
J.G. : Nous avions réfléchi à un projet commun qui aurait une ambiance un peu japonisante, avec des yōkai, parce que nous avons tous les deux été très influencés par Shigeru Mizuki. Ce serait quelque chose de plus contemplatif, plus posé. Sinon, il y a un spin-off de Bergères Guerrière que j’ai commencé à écrire, mais qui n’est pas encore signé. Ce serait pour un public plus adolescent : on suivrait cette fois le grand-frère de Liam, parti à la guerre, et qui va être forcé de grandir très vite. Je ne sais pas encore qui serait au dessin, mais a priori, ce serait sans Amélie…
A.F. : Comme ça j’évite les scènes de batailles ! Il y a aussi d’autres spin-offs qui pourraient être sympas, sur certaines grands-mères que l’on voit dans l’album, cela pourrait donner quelque chose d’assez drôle. À part ça, j’ai des envies de faire des livres jeunesse, des choses assez simples. Mais ça dépendra de l’état de fatigue dans lequel je serai à la fin de la série.
Amélie, vous êtes passée par le monde de l’animation et vous travaillez encore occasionnellement pour de grands studios. Souhaiteriez-vous à terme y revenir ou préférez-vous vous consacrer à la bande dessinée ?
A.F. : J’aime bien partager mon temps entre les deux. Ce qui est chouette dans l’animation, c’est de travailler tous ensemble sur un projet commun, ça crée une sorte d’émulation. Mais j’apprécie aussi d’avoir des projets personnels, et je pense que si j’étais à temps plein dans l’animation, je me sentirais un peu frustrée. Donc je pense que j’ai un bon équilibre comme ça, mais c’est vrai que ça dépendra des opportunités : si on me propose la direction artistique d’un projet dans l’animation, ça sera difficile de dire non… Par contre, ce qui est bien avec la BD, c’est que quand on a fini de travailler sur un album, on peut l’avoir sous les yeux assez rapidement. Alors que quand on travaille pour Pixar ou Dreamworks, on ne peut pas voir le film avant 3 ou 4 ans, et on ne peut rien montrer de son travail, ni même en parler. C’est assez frustrant.
Jonathan, vous êtes passé par le graphisme et l’illiustration, avant de devenir éditeur chez Ankama, et enfin de vous lancer en tant qu’auteur et photographe. Quel rôle avez-vous préféré ?
J.G. : Tout cela est complémentaire. Parfois, je me dis que j’aurais dû venir à l’écriture plus vite. Mais en fait, tout ce bagage de dessinateur, d’éditeur et de photographe me sert dans mon travail, et m’a permis d’évoluer. Avoir travaillé en tant qu’éditeur a été vraiment formateur pour moi. On est entre les auteurs, les créatifs et la direction, et celle-ci attend à la fois une ligne éditoriale cohérente et des résultats. Ça me plaisait bien, et travailler avec des gens comme Amélie ou Ulysse Malassagne, ça m’a vraiment nourri.
Je me suis aussi intéressé à la photo, ce qui a pas mal titillé mon imagination. Et de manière générale, d’avoir fait du dessin et de la photo, ça me permet de visualiser quand j’écris. Du coup, je suis autant à l’aise pour les dialogues que pour les scènes plus contemplatives et muettes. J’écris souvent sur des formats assez proches du film, et les dessinateurs vers qui je me tourne ont eux aussi un dynamisme et un style de composition qui rappelle le cinéma. C’est tout cela mêlé qui m’a amené à l’écriture. Mais c’est vrai que c’est parfois une frustration de ne pas être maître de tout dans la mise en scène du récit, alors j’aimerais bien revenir un jour à l’image, et peut-être même me lancer dans la réalisation. En tout cas, si je m’y mets, ça prendra du temps. Et je ne vais pas me trop me presser non plus : faire mon trou dans la BD, c’est déjà du boulot !
Au niveau de la BD, quels sont vos récents coups de coeur ?
A.F. : Dernièrement, j’ai bien aimé Les Effroyables missions de Margo Maloo. C’est une BD jeunesse américaine, une histoire de gamins et de monstres. Je n’en ai pas beaucoup entendu parler et c’est bien dommage.
J.G. : De mon côté, j’aime beaucoup ce que font les cousines Tamaki, notamment Cet été-là et Skim. L’une des deux, Jillian, a récemment publié sur son blog une série de petites histoires que j’ai trouvé très bien écrites, parce qu’elles peignaient une chronique de l’adolescence sans en faire trop. Ça s’appelle SuperMutant Magic Academy. J’apprécie également Craig Thompson, qui est lui aussi un auteur qui n’a pas peur de prendre son temps lorsqu’il écrit.
A.F. : Dans ce genre-là, il y a aussi ce que fait Inio Asano, avec Bonne nuit Punpun ! ou sa dernière série, Dead Dead Demon’s De De De De Destruction, même si c’est assez spécial.
J.G. : On aime bien ce mangaka, c’est vrai. C’est le genre d’auteur qui ont des partis pris assez atypiques, qui vont prendre le temps d’écrire leurs personnages finement et intelligemment, en montrant leur quotidien, sans en faire des tonnes.
Pour conclure, que pouvez-vous nous dire sur la suite de Bergères guerrières ?
A.F. : Elle sortira au mieux en juin prochain, au pire en août. J’ai pris du retard à cause de notre déménagement, mais j’essaye de trouver des solutions pour accélérer un peu le rythme, sans perdre la qualité.
J.G. : Nous avons conscience que pour une série jeune public, il faut vraiment être régulier, parce que les lecteurs grandissent et qu’ils sont très sollicités par tous les albums qui sortent. Pour ce qui est du contenu, on aurait pu continuer sur l’entraînement des bergères et la vie du village, et faire les trois tomes là-dessus. Mais ce qui nous plaît, c’est qu’il y ait des cassures dans le récit, que les albums se suivent mais ne se ressemblent pas, comme j’ai essayé de le faire pour Momo.
A.F. : À la fin du premier tome, il y a un danger qui s’annonce. Le tome deux va donc être un peu plus sombre, et un peu plus fantastique aussi, tout en gardant de l’humour.
J.G. : Oui, on va essayer d’équilibrer la tension qui monte avec des moments plus légers. Contrairement au début du récit, qui est plutôt concentré sur le village, la suite de l’histoire permettra de découvrir le reste de la vallée, et au-delà. Et comme vous pouvez le deviner, le dernier arc sera consacré au sort des hommes partis à la guerre.
Propos recueillis par Blandine Champagneur et Léa Foglar
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Bergères guerrières #1
Par Amélie Fléchais et Jonathan Garnier.
Glénat, 14.95 €, juin 2017.
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