Amy & Jordan
Couple sociopathe, Amy et Jordan expérimentent toutes les morts possibles pour renaître aussitôt, dans leur petit appartement miteux situé au cœur d’une grisaille urbaine proche de l’enfer. Immortels dépressifs, le cimetière les grise, le jus de chat les revigore, le spectacle de l’horreur les indiffère. Pour voisins, des zombies sanguinaires, des animaux visqueux ou des enfants agressifs. Bienvenue dans un abîme de désespoir…
Amy & Jordan est une anthologie regroupant 292 strips publiés entre 1988 et 1996 dans le magazine alternatif New-York Press et traduits pour la première fois en français. L’auteur underground américain Mark Beyer, adulé par Daniel Clowes et Art Spiegelman, faisait vivre à ses héros les pires cruautés au cœur d’une urbanité totalement froide, crasseuse et violente : dévorés par des garçons-piranhas, chassés par un diable incendiaire, effrayés par la vieillesse, écrasés par l’accablement de leur vie, Amy et Jordan se disputent, meurent, torturent, souffrent et touchent le fond. Ensemble. Heureusement, la comédie macabre devient hilarante. Car Beyer a préféré jouer l’humour noir grotesque et sarcastique, pour crier sa rage, calme et posée ici.
La forme se fait austère, brute, primitive, brassant une souffrance et un mal-être sans fin. Mais Beyer invente une gamme visuelle originale : motifs géométriques, dessins plats, angles inédits, l’auteur orne ses pages d’un noir et blanc saturé qui renforce le malaise, tandis que les paroles du couple, d’une platitude effrayante, suscitent le rire gêné. La force des strips jaillit alors du décalage entre l’atrocité des faits vécus, l’absence d’émotions qu’ils suscitent et le ton ordinaire des dialogues. Amy et Jordan, rendus apathiques par un quotidien anxiogène, deviennent ainsi les acteurs détachés d’un cauchemar bien réel. Oui, cet étonnant jeu de massacre pourra agacer par sa répétitivité, la récurrence de ses obsessions, son atmosphère sinistre sans relâche. Et face à un tableau aussi pessimiste de l’humanité, on devrait pleurer. Ou se pendre. En fait, on en rit surtout. Un beau paradoxe.
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La simplicité et la férocité qui font les chef-d’oeuvres…
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