Anarcoma, une anthologie des bas-fonds espagnols
Jouant son rôle de passeur à merveille, l’éditeur Misma publie l’anthologie d’une œuvre sortie des bas-fonds barcelonais. En maître d’œuvre, Nazario, auteur espagnol à l’origine du collectif « El Rrollo » qui publia et distribua sous le manteau des fanzines. Nous sommes en 1972, dans l’Espagne répressive du dictateur Franco. Mais c’est une revue, El Vibora, qui publie les premiers épisodes des aventures d’Anarcoma, transsexuel libre qui traîne sur les Ramblas de Barcelone : elle aime les hommes forts, bien montés et rêve d’être détective. Ça tombe bien car la machine secrète du Professeur Onliyou a été volée. Et, branquignole sur les bords, la police est incapable de trouver une piste sérieuse. Anacorma entre alors en scène, confrontée à une faune interlope : Caty, sa confidente, des travelos, Metamorfosa et ses piranhas borgnes, XM2, un robot ultra-viril ou encore la secte de l’ordre de San Reprimonio…
Bienvenue dans une SF farfelue et gentiment datée, souvent bavarde aussi. Le dessin est figé, les couleurs exubérantes et les personnages tous un peu barrés, des militaires sadiques aux scientifiques chelous. Sans parler de situations bien grotesques. Mais Anarcoma vaut surtout par son contexte d’édition et ce qui s’y joue à l’époque. Sortes de « symbole(s) de l’émancipation de l’Espagne post-franquiste », les épisodes d’Anarcoma abordent ouvertement l’homosexualité, avec un ton provocateur et une langue crue, laboratoire de transgressions à rebours des forces conservatrices.
Lire Anarcoma, c’est donc, par la fiction, entrer dans un monde interlope travaillé par les incertitudes d’un pays en transition, où la parole libre fait gentiment éclater les tabous façonnés par quarante ans de dictature. Au risque de la prison… Moins de la SF qu’un propos politique au final. Son auteur, Nazario, incarne d’ailleurs « la mémoire vivante de la Barcelone canaille de l’époque », selon l’excellente préface de l’éditeur. Un héritage bien vivant, palpable dans les films de Pedro Almodovar, cinéaste durablement influencé par l’univers de Nazario. À découvrir.
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Anarcoma.
Par Nazario.
Misma, 164 p., 32 €, juin 2017.
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