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Angoulême 2016 : retour sur la rencontre Otomo

11 février 2016 |

otomo_angoulemeNe pas voir au programme du Festival d’Angoulême 2016 une expo dédiée au Grand Prix de l’an passé était l’une des grandes déceptions annoncées de cette édition. Invité d’honneur largement fêté par les organisateurs (avec tout de même une exposition hommage), Katsuhiro Otomo a offert au Festival une rencontre publique le 30 janvier. Retour sur un des meilleurs moments de la 43e édition du FIBD.

Durant plus de deux heures, Otomo ne s’est pas moqué de ses fans, présentant notamment de nombreuses photos de sa collection personnelle, dévoilant les coulisses de la création de ses œuvres les plus emblématiques, Akira en tête. Seulement accompagné sur scène de sa traductrice, il s’est auto-interviewé longuement, oscillant avec un talent insoupçonné de showman entre humilité et cabotinage, pour le plus grand plaisir d’une salle aux anges. Salle à laquelle Otomo a ensuite donné la parole pour une généreuse séance de questions. Un des grands moments de ce festival.

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Katsuhiro Otomo sur la scène du Théâtre d’Angoulême

Le plus surprenant, c’est l’honnêteté avec laquelle Otomo a fait l’inventaire de ses influences sur Akira. Quand d’autres rechignent à nommer des sources d’inspiration pourtant parfois évidentes, lui, l’auteur d’une des bandes dessinées et film d’animation les plus séminaux justement de la fin du XXe siècle, a savamment listé ce à quoi son néo-Tokyo ou les personnages de Tetsuo et Kaneda empruntent et notamment les mangas technos de Tezuka (Astro Boy), Ishinomori (Cyborg 009) et Yokoyama (Tetsujin 28-gō).

Otomo a notamment raconté comment il avait, en toute bonne foi, piqué sans s’en rendre compte une séquence d’explosion nucléaire très marquante d’Akira, dans une BD de Ishinomori (inédite chez nous) qu’il avait lue ado. L’artiste ne l’a réalisé que des années plus tard. Une découverte embarrassante, mais qui lui a au moins confirmé que « création et mémoire sont extrêmement liées »

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L’explosion nucléaire d’Akira inconsciemment empruntée à Ishinomori (voir ci-dessous).

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Mais il n’y a pas que les livres qui l’ont influencé. Le cinéma aussi a eu son importance, d’autant plus, dit-il, que c’est vraiment comme un long-métrage qu’il avait pensé Akira dès les mangas. « Je voulais que cela se lise comme un film. J’ai donc cherché à contrôler la vitesse à laquelle les lecteurs feuilletteraient les pages, en dirigeant par exemple leur regard ou en jouant sur la durée des dialogues pour qu’ils s’arrêtent sur une case. Dans les comics américains, ils utilisent de grandes cases pour mettre en scène des scènes d’action exagérées. Je fais plutôt le contraire : des cases très découpées pour les scènes d’action et de grandes cases réservées aux moments de pause dans le récit. »

Vus et digérés par Otomo pour accoucher de son propre grand œuvre, sans réelle surprise : les films de Ridley Scott (Blade Runner, surtout pour le long-métrage Akira), Fritz Lang (Metropolis), George Miller (« il y  avait beaucoup de voyous à moto au Japon à l’époque et j’ai été très frappé par les séquence en deux roues de Mad Max ») et Stanley Kubrick (Orange mécanique).

Voilà pour les grandes matrices, mais le mangaka aussi révélé, photos à l’appui, des cousinages plus secondaires mais pas moins importants : le look et les costumes des personnages doivent beaucoup, a-t-on appris, à la période Synchronicity de Sting et The Police, et la moto rouge qui est devenue l’un des symboles de son œuvre, tient autant de celles de Tron que des choppers d’Easy Rider ou des prototypes du designer Luigi Colani.

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Parmi les secrets de fabrication les plus ahurissants, celui d’une trame qu’il a beaucoup utilisée dans Akira, en arrière-plan, sur des éléments de décor ou même sur la peau de personnages. Elle lui valut à l’époque de nombreux compliments et Otomo avoue qu’il s’agit tout simplement d’un détail d’une gravure de Gustave Doré pioché dans une édition de Don Quichotte illustrée par l’artiste. Un beau recyclage dont il était très fier, à une époque où l’on ne fabriquait pas aussi facilement qu’aujourd’hui de tels outils sur son PC.

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Le paysage de Gustave Doré.

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La gravure de Doré devient une trame de fond de case…

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…un décor ou…

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…une ombre sur un visage.

Il est d’ailleurs revenu en toute transparence sur son travail avec des assistants, tradition japonaise pas toujours bien comprise hors de l’Archipel, mais qui s’explique par les délais insensés de parution des magazines qui publient les mangas là-bas. Akira paraissait tous les 15 jours : Otomo devait par conséquent livrer quelque 40 pages par mois… Dès lors, il travaillait avec deux assistants et même trois quand il lui fallut en plus travailler sur le film. Ce sont eux qui, par exemple, traçaient à la règle les contours des buildings. Otomo a par ailleurs expliqué à la suite d’une question venue de la salle que Satoshi Kon (Paprika, Perfect Blue) avait été un de ses assistants officieux à l’écriture des 4e et 5e tomes d’Akira.

Sans jamais donner l’impression de s’impatienter, l’artiste a largement laissé le micro circuler dans la salle pour conclure la rencontre. Petit verre de vin rouge à la main, il s’est tiré par d’élégantes pirouettes de certaines questions délicates. L’avenir proche pour lui, c’est un long-métrage Dômu, tiré d’un autre de ses mangas, dont il a montré une sorte de longue bande démo très dark (et dont pour être honnête, on a du mal à dire si elle était en prises de vue réelles avec beaucoup de CGI ou en full CGI). Côté mangas, il travaille désormais sans assistant et doit s’assurer de boucler l’intégralité des épisodes avant de les proposer à un éditeur. « Je suis un peu devenu un auteur de BD franco-belge », a-t-il plaisanté avant de se retirer accompagné par une standing ovation.

Cet Angoulême 2016 ne laissera assurément pas que de bons souvenirs. Mais cette rencontre-là en fera partie, c’est certain.

Photos salle © BoDoï – Photo Otomo © 9eArt+/Jorge Fidel Alvarez

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