Angoulême 2020 : l’expo Yoshiharu Tsuge
Après Kamimura, Tezuka et Matsumoto, le Musée d’Angoulême accueille, à l’occasion du Festival international de la bande dessinée, une exposition d’une grande richesse et à la scénographie classieuse sur le travail d’un mangaka aussi brillant que rare : Yoshiharu Tsuge.
Intitulée « Être sans exister », cette rétrospective chronologique d’une oeuvre qui s’étend des années 60 aux années 80, avec de longues absences, met en avant un auteur souffrant d’angoisses récurrentes voire chroniques, et qui n’a que trop rarement pu les exprimer en bande dessinée. Parce que le marché n’en voulait pas ou que son inconfort de vivre dans une société avec laquelle il n’était pas en phase paralysait sa créativité. « Dessiner m’était de plus en plus douloureux, dit-il après ses premières années professionnelles. Mon quotidien était sombre et pétri d’angoisses. L’art ne m’intéressait pas. Je ne m’étais jamais demandé ce que ‘s’exprimer’ voulait dire. J’étais ignorant de toutes ces choses, seul, sans personne avec qui échanger. La direction que j’allais emprunter ne découlait pas d’une réflexion théorique, mais simplement d’un rejet viscéral du divertissement. »
Assistant chez Mizuki, il a les honneurs de la revue d’avant-garde Garo, qui loue son ton original et son style cherchant à s’émanciper des anciens. Mais il peine aussi à saisir l’opportunité de rencontrer un vrai succès, et disparaît même parfois, sans donner de novelles. Puis il revient et se lance des récits adultes étranges et obsessionnels, un peu autofictionnels, qui déstabilisent le public ainsi que ses confrères auteurs. Sa carrière est ainsi émaillée d’épisodes dépressifs et de moment productifs. Avec une vision qui se dégage : sortir des schémas traditionnels, explorer l’intime, voire l’inconscient. C’est le cas de sa nouvelle La Vis, véritable révolution dans la bande dessinée mondiale, explorant l’onirisme comme jamais auparavant, avec sa trame invisible et imprévisible, ses tabous levés, ses figures violentes et dérangeantes.
Le sexe, souvent violent ou malaisant, sera souvent présent dans ses oeuvres. Mais ce n’est pas la seule figure récurrente. Il y a la campagne, le bord de mer, les habitats traditionnels, inspirés par de nombreux voyages que Tsuge a effectué au Japon. Il y a celle, surtout, de l’homme écrasé par son environnement, naturel ou industriel ou sociétal. Un écrasement qui l’empêche de s’épanouir en tant qu’individu, à s’isoler, voire à songer à mettre fin à une vie si dure. Autant de thèmes que l’on retrouve dans la grande oeuvre somme de Yoshiharu Tsuge, L’Homme sans talent (1984-1987). Un récit composé de plusieurs histoires, qui ne sera jamais vraiment conclu. Mais qui forme, avec une nouvelle indépendante dans laquelle il confesse sa tentative de suicide, le point d’orgue final d’une oeuvre poignante et audacieuse. Depuis, le mangaka, 82 ans aujourd’hui, n’a plus rien publié.
Photo © BoDoï
Publiez un commentaire