Arnaud Le Gouëfflec sur les traces d’un pianiste et d’une strip-teaseuse
Un pianiste amateur de Thelonious Monk et de cigarettes s’enfuit d’une boîte de strip-tease avec une danseuse blonde à la poitrine rebondie. Ils ont un paquet d’argent dans le coffre, et une statuette de Saint-Christophe pour les protéger…
Road-movie mystérieux et déglingué, Topless est l’oeuvre croisée du dessinateur Olivier Balez et de l’écrivain et musicien Arnaud Le Gouëfflec. Ce dernier, déjà auteur du joli Vilebrequin avec Obion, raconte la genèse de cette fuite musicale éperdue.
Pourquoi avoir choisi un musicien comme héros?
J’ai attaqué la rédaction de Topless au printemps 2008, à un moment où j’écoutais pas mal de jazz. Je ne suis pas du tout un spécialiste, et j’ai notamment apprécié le calme de la musique de Thelonious Monk, couplé à une façon un peu ébréchée de jouer du piano. J’ai aimé ce contraste, cette étrangeté amusante, et cela m’a nourri. D’où un héros pianiste, grand amateur de Monk. Je me le suis rapidement représenté livide, maigre, scotché à son instrument. J’ai eu l’idée subite et incongrue de déposer un petit Saint-Christophe sur son piano.
Êtes-vous particulièrement amateur d’icônes de saints?
Non, pas vraiment, bien que j’en ai quelques unes dans mon bureau et une statue de Shiva sur ma télé. Mais je ne suis pas fétichiste. Je connaissais l’histoire de Saint-Christophe, qui est un saint ambigu, trouble et donc intéressant [avant de servir Dieu, il voulut se mettre à la disposition du Diable]. L’idée d’organiser l’album selon des épîtres vient du dessinateur Olivier Balez, qui a rebondi sur cette volonté d’injecter du mysticisme à l’intrigue.
Pourquoi l’actrice Jayne Mansfield, autre personnage récurrent de l’album, vous fascine-t-elle autant?
Elle est devenue une véritable icône rock’n’roll, et figure sur plusieurs pochettes de disques. Je l’ai d’ailleurs découverte en voyant sa tête sur une compilation. Un jour, j’ai appris comment elle était morte [on la dit décapitée dans un accident de voiture, alors que sa boîte crânienne fut « seulement » écrasée]. Comme Saint-Christophe, elle vécut entre deux eaux, célébrée à cause de son opulence mammaire et sa fin tragique.
D’où est venu ce titre, Topless?
Il traînait dans ma cervelle depuis longtemps, bien avant que je construise l’intrigue autour de lui. Souvent, un mot jaillit et je tire ensuite sur la pelote, je divague. J’ai proposé à Olivier Balez une divagation autour de ce terme, qui peut être interprété de différentes façons. Ça peut vouloir dire « sans le haut », mais aussi « sans soutien-gorge », « sans dieu »… J’avais envie d’un road-movie gorgé d’errance, codifié à la manière d’un film noir, et Olivier a dessiné des choses qui me plaisent beaucoup et peuvent faire penser au film La Nuit du chasseur de Charles Laughton.
Comment êtres-vous venu à travailler avec le dessinateur Olivier Balez?
Je l’ai rencontré à Paris, à la soirée de lancement de la collection KSTR de Casterman, et ce fut un coup de foudre amical. Son travail sur Angle mort m’a beaucoup parlé. J’aime son approche des couleurs, son parti-pris très graphique et son goût des ambiances. Il dessine avec une grande économie de moyens, va directement à l’essentiel. Ses personnages sont des espèces d’icônes, avec une vraie simplicité. En les voyant, j’ai tout de suite eu envie de jouer avec. Et j’apprécie sa façon de traiter la nuit: il s’y sent comme un poisson dans l’eau!
Comment avez-vous fonctionné ensemble?
Cette rencontre avec Olivier m’a servi de déclencheur. Je lui ai proposé le projet Topless, qui s’est noué entre Santiago du Chili – où il était parti pour des raisons familiales – et Brest, où j’habite. Nous nous sommes vus trois fois en un an et demi. Tout s’est joué par Internet.
Pourquoi ne pas avoir dessiné l’album vous-même, puisque vous êtes graphiste?
Je suis un graphiste du dimanche! Le dessin est mon violon d’Ingres: je fais des pochettes de disques, des affiches, mais ne me considère pas du tout comme un dessinateur.
Vous êtes musicien et écrivain. Pourquoi être venu à la bande dessinée?
Depuis l’enfance, je voulais en faire. Mais je souhaitais avant toute chose raconter des histoires. Et la chanson m’a d’abord paru le plus court moyen pour le faire. Mais la BD ne m’a jamais quitté. Vers 1996, j’ai eu une révélation en lisant la série Les Formidables Aventures de Lapinot de Lewis Trondheim. J’aimais sa manière novatrice de tricoter de intrigues. Deux de mes amis brestois, Kris et Obion, m’ont poussé à écrire un scénario.
Quels sont vos projets BD?
Un autre album avec Obion, le dessinateur de Vilebrequin. Mais plus tard, car il vient tout juste de finir un Donjon. Et une nouvelle histoire avec Olivier Balez, qui nous tient beaucoup à coeur mais que nous préférons pour l’instant garder mystérieuse…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Topless
Par Olivier Balez et Arnaud Le Gouëfflec.
Glénat, 13,99 €, le 24 juin 2009.
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