Aurélia Aurita immergée dans un lycée autogéré
Après le coquin Fraise et Chocolat, Buzz-moi, ou l’enfantin Vivi des Vosges, Aurélia Aurita revient avec une BD d’un tout autre genre : un reportage en trois volumes sur le lycée autogéré de Paris, le « LAP », au sein duquel elle a passé un an. À l’occasion de la publication du premier tome, elle nous raconte comment on « tombe amoureux d’un lieu ».
Comment vous êtes-vous intéressée au LAP ?
Je m’intéresse aux utopies depuis quelques années. J’ai été très marquée par le magnifique An 01 de Gébé. Dans le cadre du LAP, ils ne s’agit pas seulement de rêveurs mais de gens qui mettent l’utopie en action. Dès qu’on se heurte aux détails pratiques, on voit apparaître la différence entre rêve et réalité. J’avais envie d’observer et de décrire cette différence-là. C’est sur le site internet de la foire à l’autogestion de Montreuil que j’ai découvert l’existence d’un lycée autogéré à Paris, et c’est comme ça que j’ai atterri au LAP.
Après le style autobiographique, vous vous lancez dans la BD de reportage. Était-ce un changement facile ?
Jusqu’à présent, j’étais habituée à parler de mon vécu, de mon ressenti. Le glissement de l’autobiographie au reportage s’est fait presque naturellement. N’ayant pas fait d’école de journalisme, je l’ai abordé d’une manière complètement naïve,. Du coup, le résultat est un peu hybride. Étant restée un an au LAP, j’étais davantage dans l’observation participante que dans le reportage au sens strict. J’étais tantôt avec les profs, tantôt avec les élèves, je participais à beaucoup d’activités. D’un point de vue personnel, cette expérience m’a bouleversée et a largement dépassé le cadre du reportage. J’en parlerais plutôt comme d’une aventure.
Pourquoi une trilogie ?
Au début, je ne savais pas que cela allait prendre une telle ampleur. Avec la seule matière des deux premiers mois, j’avais assez pour faire un livre. Pour rendre toute la richesse de mon expérience au LAP, j’ai décidé de faire une trilogie. Le premier tome est celui de la découverte, du coup de foudre. J’y aborde l’autogestion, mais j’approfondirai la question dans les volumes suivants. Le deuxième tome parlera de mon expérience en tant que « prof » car je me suis improvisée professeur de bande dessinée pendant quelques mois à la demande de certains élèves. Dans ce lycée, chacun est encouragé à transmettre son savoir, et pas seulement les professeurs. Dans le troisième tome, il sera question de mon immersion du côté des élèves, puisque j’ai repassé mon bac, et l’ai eu pour la deuxième fois.
Pourquoi avoir voulu repasser le bac ?
Ce n’était pas prémédité. Le déclic est venu des cours de philo auxquels j’ai assisté. Nous étions, selon les jours, sept, huit ou dix, assis en rond. La prof demandait aux élèves ce qu’ils pensaient de la justice, de la liberté, etc. et chacun participait au débat. Après avoir assisté à ce cours passionnant, je me suis dit : tant qu’à faire, autant repasser mon bac. C’était comme un acte de rébellion vis-à-vis du système éducatif, un acte complètement gratuit et inutile, puisque je l’avais déjà. Pour la première fois, j’ai passé un examen sans la boule au ventre, pour le simple plaisir. Voilà sur quoi devrait être basé l’apprentissage : non pas sur des notes et des classements, mais sur le plaisir d’apprendre.
Avez-vous eu du mal à prendre de la distance et à rester une « observatrice extérieure »?
Dans un souci de transparence et de sincérité, j’ai voulu évoquer, dans le premier tome, mes difficultés à prendre du recul. Il est vrai que le LAP est un endroit qui vous « happe ». Alors que dans le jargon du LAP, j’étais une « extérieure », quelqu’un qui n’est coopté ni par les profs ni par les élèves, je n’ai réussi à garder une distance qu’au prix de beaucoup d’efforts. Ma ligne de mire, c’était le livre. Savoir qu’il fallait à tout prix faire cette BD m’a permis de ne pas perdre pied, dans un lieu où les repères et les rôles sont mouvants.
Vous racontez les difficultés du LAP face à la violence de quelques élèves, et le recours, parfois, à la « désinscription » de certains d’entre eux. Que pensez-vous de cette gestion des problèmes ?
L’épisode que je raconte dans la BD, où un élève avait frappé un autre élève, est assez exceptionnel au sein du LAP. Comme c’est un cadre qui n’est pas coercitif, les élèves n’ont généralement pas besoin de se défouler. Je suis arrivée au mauvais moment, si on peut dire. Pour répondre à ce genre d’incident, le LAP dispose d’une commission justice, composée d’élèves et de profs qui écoutent chacune des parties. En fonction de la gravité des cas, ils se prononcent sur une sanction : l’exclusion temporaire ou définitive, des « travaux d’intérêt général », l’obligation d’assister à une formation, sur la drogue par exemple. Cela ressemble à un « tribunal » auquel les élèves participeraient. Je trouve cela incroyable, c’est comme une société en miniature. Chaque fois qu’un problème se présente, on essaie de trouver des solutions avec la parole.
Quant à la désinscription des élèves, c’est un problème compliqué. Notamment par le fait qu’il y ait des élèves dans la commission justice : est-ce qu’un élève peut prendre la lourde responsabilité de désinscrire un autre élève ? À l’époque où j’étais au LAP, ce genre de décision était confié aux professeurs, ce qui suscitait des débats car, en théorie, les professeurs et les élèves sont censés prendre les décisions ensemble. La commission justice est donc encore en chantier. Dans l’autogestion, il n’y a pas de règle immuable, elles s’écrivent un peu tous les jours.
Quand vous étiez lycéenne, auriez-vous aimé faire votre scolarité au LAP ?
Je ne sais pas si j’aurais été assez mûre. Comme il n’y a pas d’obligation à aller en cours, le LAP responsabilise les élèves assez jeunes. C’est à eux d’en assumer le choix et les conséquences. S’ils n’assistent à aucun cours, on examinera la pertinence que les élèves soit réintégrés l’année suivante. Je ne sais pas si j’aurais eu la force de m’astreindre à cet âge-là.
Cependant, je crois que j’aurais aimé la moindre importance que le LAP accorde au baccalauréat, par rapport aux autres lycées. Même si j’étais une bonne élève, j’étais très angoissée à l’idée de ne pas l’avoir, cela aurait été la fin du monde. Si le LAP a l’un des plus mauvais taux de réussite au bac, environ 30 %, il dédramatise l’enjeu de l’examen et est très au fait de toutes les orientations où il n’y a pas besoin de bac. À la sortie du LAP, certains élèves s’orientent vers un CAP (certificat d’aptitude professionnelle). Ces élèves n’auraient sans doute pas eu accès à l’enseignement général hors du LAP.
Quels sont vos prochains projets ?
Les tomes 2 et 3 de LAP ! devraient sortir en 2015 et 2016. J’ai aussi d’autres projets d’histoires courtes et de collaborations. J’aimerais continuer dans cette veine du reportage avec des sujets plus courts. Pourquoi pas observer le milieu du cirque, les clowns ou les acrobates ? Mais je me laisse un peu porter par le hasard…
Propos recueillis par Céline Bagault
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Images © Les Impressions Nouvelles
Photo © Pierre-Olivier
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