Avec « Left », Philippe Dupuy traverse un miroir douloureux
Philippe Dupuy souffre de gros problèmes articulaires de la main droite, celle qui dessine. Au cours de son traitement, pour ne pas devenir fou, il a laissé sa main gauche prendre le crayon. Lui ouvrant la porte vers d’autres univers, comme la traversée d’un miroir, aussi effrayante que salvatrice.
Les amateurs du dessin du complice de Charles Berberian ne retrouveront pas vraiment dans Left la ligne claire classieuse et distanciée habituelle de son auteur. Non, ce recueil de dessins muets, disparates, est comme un cahier d’apprentissage, de « reconquête » forcée comme Philippe Dupuy le glisse en préambule, dans un texte manuscrit écrit en miroir, comme les quelques autres qui ponctuent l’ouvrage.
Des femmes frêles et nues, dont la tête se mue souvent en arbre ou en plante étrange. Qui fraient avec une pieuvre, ou se transforment en attrape-rêves. Un homme parfois, plus souvent des animaux ou des formes abstraites. Voilà les images qui flottent dans cet élégant livre à la couverture toilée, qui invite à un voyage à la fois envoûtant et perturbant.
« Retombe en enfance, découvre l’imprévu, l’inexpérience et la spontanéité », lance Philippe Dupuy dans son texte liminaire, au lecteur comme à lui-même comme pour s’encourager au moment de sauter dans le vide, de donner la parole à cette main d’ordinaire muette. Le trait n’est pas affirmé, mais plein de personnalité. La ligne tremble et les postures sont fragiles, comme un dessin d’enfant ou de non-professionnel. Mais le regard est là, l’univers aussi. Et la récurrence des motifs, les visions oniriques répétitives, font que Left n’est pas un simple carnet pour ne pas perdre la main. Il est un espoir de la retrouver, la main, la bonne. Il est un cri de douleur. Il est une partie, annexe mais pas accessoire, de la thérapie. Et c’est en cela, aussi, qu’il est un ouvrage aussi mystérieux que poignant.
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Left.
Par Philippe Dupuy.
L’Association, 23 €, mai 2018.
Exposition des originaux à la galerie Arts Factory, jusqu’au 6 juin.
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