Azur Asphalte
Après son adaptation très remarquée de L’Été des charognes, un roman de Simon Johannin, Sylvain Bordesoules s’attèle à un projet plus personnel avec Azur Asphalte, dans lequel il raconte l’histoire de ses sœurs Mélissa et Candice. Elles vivent à Nice, ville que l’auteur a quitté pour Paris, et qu’il déteste dessiner tant elle lui rappelle de mauvais souvenirs.
Cela ne saute pas aux yeux : l’artiste dépeint merveilleusement la Côte d’Azur par petites touches de feutres à alcool, tel un impressionniste du XXIe siècle. Il prend le temps de poser le décor : chaque détail raconte l’ambiguïté des lieux. Le fabuleux coucher de soleil sur la promenade des Anglais, les canettes écrasées qui jonchent le sol, les couleurs enchanteresses, le sans-abri allongé sur un banc, les filles qui jouent au foot, la « bonne » plage, celle où vont les Niçoises, les dragueurs trop insistants qui passent aux insultes lorsqu’ils se font rembarrer.
On s’immisce dans l’intimité des deux sœurs sur la pointe des pieds. La blonde, Mélissa, vit avec sa copine Press dans un minuscule studio immaculé. La brune, Candice, élève seule ses deux enfants, qu’elle quitte tôt le matin pour aller travailler dans une crèche. On partage leurs galères : le chômage, les petits boulots ingrats, l’infernal tourbillon de la maman solo, les ennuis de santé. Pour surmonter le tout, il y a l’entraide, les liens familiaux indéfectibles bien que teintés de pudeur, cachés sous un langage aussi fleuri que les tombes du cimetière où Mélissa se rend pour tenir compagnie aux morts esseulés, entre deux séances de ménage à la Javel.
Sylvain Bordesoules esquisse les multiples facettes de ses sœurs, Mélissa qui s’adoucit lorsqu’elle est seule, Candice qui sourit lorsqu’elle ne l’est plus. Il saisit des instants fugaces où elles se recoiffent d’un geste familier, les quelques minutes volées aux soucis du quotidien. Des temps de respiration, comme pour insuffler de la douceur dans ce monde de douleur, le tout sublimé par les tableaux feutrés de l’artiste venu les observer.
Ces deux jeunes femmes issues d’un milieu modeste confrontées à la dureté de la vie portent la voix des millions de personnes qui subissent le déterminisme social – la France est parmi les plus mauvais élèves des pays de l’OCDE en matière de mobilité sociale. En cela, ce deuxième album de Sylvain Bordesoules est la continuité de L’Été des charognes. Un troisième titre devrait venir compléter cette thématique en 2026 : l’auteur y racontera ses 20 ans à Paris, les rencontres passé minuit, la solitude.
Quant à ses sœurs, on les quitte à regret, mais on se console en sachant qu’elles continuent d’exister.
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