Baru adapte l’infernale « Canicule » de Jean Vautrin
C’est un polar très noir, une histoire de famille et de gros sous qui se termine – terriblement – mal. Avec Canicule (Casterman), adapté d’un roman de Jean Vautrin, Baru se frotte à la violence à l’état pur. Il met en scène un gamin, Chim, qui pille le trésor de guerre de Jimmy Cobb, un truand en fuite. Mais le gangster, en voulant se cacher dans la ferme du beau-père de l’enfant, met le pied dans un nid de frelons… L’auteur de L’Autoroute du soleil et de Fais péter les basses, Bruno !, Grand Prix du Festival d’Angoulême 2011, raconte la manière dont il s’est approprié ce récit tordu.
Pourquoi adapter Jean Vautrin ?
J’apprécie son rapport viandard au verbe, sa façon de fouiller le pire de l’humanité. J’avais lu dans les années 1980 ses premiers romans — Bloody Mary, Billy-the-Kick ou Groom —, mais je ne me souvenais pas de Canicule. On a fini par prendre langue, tous deux, à Angoulême en 1991 : il était le président du jury qui m’a remis l’Alph’Art du meilleur album pour Le Chemin de l’Amérique. C’est pratique, Vautrin est Lorrain comme Pierre Pelot [dont Baru a adapté Pauvres zhéros], ça me permet de dire que je ne travaille qu’avec des gens de cette région ! Il aura tout de même fallu quelques années avant que notre projet prenne forme… Je lui avais d’abord demandé une nouvelle, qui n’est jamais venue. J’ai aussi écrit une adaptation de Billy-ze-Kick, mais cela se passait dans une cité, et j’en ai eu marre de dessiner des HLM. Il y a deux ans, j’ai décidé de me lancer sur Canicule, qui se déroule dans une campagne que je n’ai jamais abordée graphiquement – la Beauce, une cambrousse riche, du blé à perte de vue. Après Fais péter les basses, Bruno ! en 2010, puis le Grand Prix à Angoulême, il était temps de m’y remettre.
Avant de vous atteler à Canicule, aviez-vous regardé le long-métrage qu’en a tiré Yves Boisset en 1984 ?
Non, je me suis interdit de le faire. Dans ce film, Lee Marvin, qui incarne le gangster Jimmy Cobb, est très présent à l’écran. J’avais peur que cela m’influence. Et puis j’ai choisi, au contraire, de mettre Cobb en retrait, de le laisser jouer le rôle du révélateur au milieu de cette ferme.
Comment abordez-vous le travail d’adaptateur ?
Pour moi, ce n’est surtout pas de la littérature illustrée, il faut apporter autre chose. Dans ce cas précis, je me suis trouvé face à une difficulté : moi qui suis plutôt optimiste, j’ai dû traduire la violence que creuse Vautrin dans Canicule. Car son roman concentre des considérations sur le pire de l’humanité. J’ai donc dû forcer ma nature. Pour écrire le scénario, j’ai ôté le gras de l’histoire, raclé jusqu’à l’os. Une fois la nature de cet os identifiée, j’ai pu reposer des lambeaux de viande dessus. J’ai soumis mon texte à Vautrin sans en discuter avec lui. Il m’a encouragé en voyant les premières cases, mais comme avec Pierre Pelot, je me suis débrouillé seul. Et c’est ce que je voulais.
En quoi consiste l’os que vous évoquez ?
C’est un pur traité de sauvagerie. Mon travail a été de tenir la cruauté de Canicule à distance, dans une zone où elle restait supportable. Vautrin écrit des choses terribles, mais que l’abstraction des mots éloigne du lecteur. Or en la dessinant on incarne davantage la violence. L’ironie, ainsi que l’usage de scènes grand-guignolesques m’ont aidé. Et puis j’ai montré les effets de la violence davantage que la violence en elle-même. Vive les ellipses ! J’ai ainsi pu éviter de représenter Cobb étranglant la fille de la maison, par exemple. En revanche, j’ai tenu à montrer Horace battant Chim. La scène est difficile à regarder, mais pas mortelle. Et puis, gamin, j’en ai subi autant… Dans Canicule, les personnages féminins – dont je n’ai pas l’habitude – m’ont posé problème. Et plus particulièrement la femme d’Horace, ce bloc de frigidité qui s’ouvre doucement. J’ai peiné à la trouver physiquement. Elle se révèle à la fin, en laissant le poison de la violence s’insinuer en elle…
De quelle façon avez-vous graphiquement traduit l’intrigue ?
Les décors sont minimalistes : la ferme est le lieu du huis clos, mais tout pourrait aussi bien se passer dans le désert. Je me rends compte que je dessine de manière de plus en plus frontale, avec de moins en moins de lignes de fuite. Mon trait s’épanouit dans les rapports entre les corps, les personnages en action. Il s’agit de viande confrontée à de la viande. Je flirte avec l’irréalité sans tomber dedans, pour rendre l’impression de pesanteur, l’effet de la chaleur sur les individus, leurs peaux rougeoyantes. J’ai utilisé des rouges, des jaunes, des tons très chauds, tout en restant dans la noirceur. J’ai ressenti une vraie tension en posant la couleur – en général je me plante là. Le rythme narratif est aussi soutenu, tendue comme un fil : c’est une mèche qu’on enflamme lentement, avant l’explosion définitive. À la fin de ce travail, j’ai ressenti du soulagement. Et je me suis dit que je n’adapterai plus rien de personne ! Il y a toujours la crainte de ne pas être à la hauteur, c’est fatigant.
Quels sont vos projets ?
Je vais repartir vers un univers plus personnel, des personnages moins bousillés. J’en parle depuis longtemps, mais je vais enfin attaquer une saga sur l’immigration en France, des années 20 aux années 70. Bella ciao posera la question de l’intégration, suivra le parcours d’Italiens depuis leur arrivée en France jusqu’à la destruction de la dernière usine. Et, bien sûr, ça se passera dans mon coin, en Lorraine.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Canicule
Par Baru.
Casterman, 18€, le 24 avril 2013.
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Images © Casterman.
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mai 16, 2013
RackamAaaaaaaaaaahhhhhh !!!! Baru !!!!! Baru !!!!! Pas à la hauteur ? Mais il plaisante ! J’ai tous – ou presque – ses albums et c’est un régal à chaque fois (même si de temps en temps…). Canicule est un ouvrage superbe et figure en bonne place dans ma BDthèque.
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