Baru se frotte aux gangsters et à Angoulême
Réputé proche du monde ouvrier et féru de thématiques sociales, Baru – le pseudonyme d’Hervé Baruléa – surprend avec son nouvel album, Fais péter les basses, Bruno !. L’histoire cocasse d’une guerre entre gangs de générations différentes, fortement inspirée par le cinéma français de Lautner et Audiard. À 63 ans, le dernier Grand Prix d’Angoulême détaille pour BoDoï ses influences, ses envies et son activité de président du prochain festival.
Comment qualifieriez-vous votre ouvrage ?
Il ne s’agit ni d’une histoire noire, ni d’un polar, mais d’un récit très léger, une plaisanterie. Après Pauvres Zhéros [adapté d’un roman de Pierre Pelot], j’avais envie d’une intrigue solaire.
Votre album est émaillé de références à un certain cinéma français…
J’ai beaucoup d’appétit pour les blagues de gangsters à la manière de Georges Lautner. Fais péter les basses, Bruno ! est donc un hommage à ses films et surtout à ses acteurs. J’aime ces personnages caricaturaux mais chargés d’humanité, qui respectent un certain système de valeurs. J’ai voulu confronter la mythologie du bandit à l’ancienne – Lino Ventura, Bernard Blier – à la réalité du voyou d’aujourd’hui, dont le degré de violence est exacerbé et le code de l’honneur absent. En gros, c’est « Les tontons flingueurs versus caille-ra », comme dirait mon ami Jacques Ferrandez. Leur opposition, qui est aussi celle de la banlieue contre la province, ou des jeunes contre les vieux, installe dans le récit une dynamique intéressante.
Qu’est-ce qui vous fascine tant chez ces truands ?
Soyons réalistes, les voyous de l’époque étaient probablement aussi bêtes et méchants que ceux d’aujourd’hui. Mais ils ont été mythifiés après guerre avec des films comme Laisse aller… c’est une valse ou Ne nous fâchons pas. Gamin, j’ai été scotché par Mélodie en sous-sol, avec Jean Gabin et Alain Delon. A la fin, on voit Delon, jeune, coincé, dont le sac plein d’argent glisse dans une piscine. Et tous les billets remontent à la surface… J’ai rendu hommage à cette scène à la fin de mon album, sauf que les billets tombent. J’ai parsemé ainsi l’histoire de clins d’œil à ces films noirs. Ainsi, la station à essence – qui tient un rôle important dans l’intrigue – est là en référence à celle de Laisse aller… c’est une valse.
Vous glissez un personnage inattendu parmi ces gangsters : Slimane, un jeune Africain sans papiers, tout juste arrivé en France.
Ce clandestin est un élément perturbateur. J’avoue que je suis incapable d’écrire une fantaisie pure, cela m’ennuie. Mon naturel est revenu au galop. Slimane connaît la peur, l’angoisse, le souci permanent de fuir et se préserver. C’est le seul protagoniste qui ne rit pas ou très peu, et n’est pas dans l’excès. Il est par contre très malin. Il n’y a que les imbéciles qui pensent encore que les immigrés sont moins intelligents qu’eux. En général, ces gens prennent leur destin en main et font preuve d’une grande volonté. Pour donner corps à Slimane, je ne me suis pas particulièrement documenté sur l’immigration illégale. La manière dont il arrive en France n’est pas forcément réaliste. Mon but premier n’était pas de traiter ce sujet. La question des sans papiers mérite plus de sérieux.
Comment l’idée d’une bande dessinée germe-t-elle en vous ?
En général, j’observe autour de moi, je lis des journaux. Puis j’ai un déclic concernant une situation précise. Deux ou trois choses s’agrègent autour, je tire un fil, je construis. Ensuite, j’écris un scénario dialogué de façon très précise, avec beaucoup de descriptions des lieux et de déplacements des personnages. Et je le traduis en images, d’abord en comptabilisant les vignettes nécessaires et en passant par une phase de «rough» [croquis]. Fais péter les basses, Bruno ! m’a pris environ deux ans.
Comment votre mandat de président du jury du Festival d’Angoulême se déroule-t-il ?
Le travail est à peine commencé ! Là, je viens de réaliser l’affiche de la 38e édition, qui est à l’opposé de ce qui s’est fait jusqu’à présent. Elle n’est pas « arty » comme celle de Lewis Tondheim ou de Blutch, mais très chargée, colorée. Je suis allée vers le « pulp », pour en faire un énorme mur de graffitis, composés des signatures des précédents lauréats du Grand Prix. Comme clin d’œil au vieux Futuropolis, j’ai utilisé le gris « torpilleur » d’Etienne Robial [qui avait fondé la maison d’édition avec Florence Cestac]. Ça va être un cauchemar pour l’agence de communication, qui va devoir se débrouiller pour y insérer de façon lisible les informations pratiques.
Quelle coloration comptez-vous donner à ce Festival?
Je vais envisager la BD comme une lecture sociale du monde et du rock. Il y aura une exposition qui me sera consacrée, autour des gens de peu ou «mauvaises gens» comme le dit Etienne Davodeau. J’y invite quelques collègues, dont Davodeau justement, mais aussi Manu Larcenet, Jean-Christophe Chauzy, Igort et Gipi, s’il est disponible. J’espère qu’on réussira à organiser un concert de dessins avec le groupe Heavy Trash. Mais je n’y participerai pas, car je n’aime pas que l’on sacralise le geste du dessinateur. On va aussi éditer un CD en collaboration avec BDMusic, qui comptera 35 titres de rock antédiluvien, enregistrés avant les années 60. Une trentaine d’auteurs les illustreront. J’avais d’autres idées – comme celle d’une grande expo dédiée à Vaillant et Pif – qui n’ont pas abouti. Il ne faut pas oublier que je ne suis pas le patron d’Angoulême ! Et heureusement, car le Festival est une manifestation populaire, qui se doit d’attirer du monde. Si j’en prenais les commandes, personne ne viendrait !
Quels sont vos projets ?
Depuis des années, je suis hanté par l’envie de dessiner une saga de l’immigration italienne en France, qui intègrerait de front la question de l’intégration. Cela me permettrait de parcourir l’Histoire de 1918 au début des années 70, d’évoquer le Front Populaire, la Seconde Guerre mondiale, la Guerre d’Espagne, celle d’Algérie… Mais cela me paraît énorme, alors j’y entre à reculons. Il me faudrait au moins six ou sept cents pages pour traiter cela correctement. Sinon, j’ai répondu à une commande de Casterman en écrivant le scénario du Silence de Lounès. L’histoire du fils d’un Algérien émigré en France, qui ne comprend pas l’état d’esprit de son père et devient fou. Et puis les Rêveurs vont rééditer en novembre plusieurs de mes albums [Quéquette blues, La Piscine de Micheville et Vive la classe !] dans un beau coffret, qui comportera aussi le DVD du film que Jean-Luc Muller m’a consacré.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
————————————————–
Fais péter les basses, Bruno !
Par Baru.
Futuropolis, 20€, le 16 septembre 2010.
Images © Futuropolis.
Achetez Fais péter les basses, Bruno ! sur Fnac.com
Achetez Fais péter les basses, Bruno ! sur Amazon.fr
—————————————————-
Articles associés
Sorties de la semaine du 17 janvier 2011 avec NouvellesBD.com... 17 janvier 2011 | Benjamin Roure
Le Coin des enfants #16 12 janvier 2011 | Romain Gallissot
Arnaud Le Gouëfflec sur les traces d’un pianiste et d’une strip-tea... 17 juin 2009 | Laurence Le Saux
Petite revue de presse #46 19 février 2010 | Benjamin Roure
Publiez un commentaire
Articles Récents
Commentaires Récents
- Natacha sur BD Colomiers : un programme pointu et engagé { J'étais à cette édition du festival, du vendredi au dimanche... } –
- Zorg sur BD Colomiers : un programme pointu et engagé { Bon, je dois faire amende honorable... J'étais au festival aujourd'hui... } –
- Zorg sur BD Colomiers : un programme pointu et engagé { Merci pour votre travail. Je suis cependant très circonspect voire... } –
- Flo sur Doctor Strange : Fall Sunrise { Attention, gros morceau artistique ! Le dessinateur Tradd Moore, sa... } –
- Jérôme sur Enola Holmes - Le jeu dangereux de Mycroft { On peut noter que l'autrice de BD française Serena Blasco... } –
- Rémi I. sur Au pied des étoiles { Haha, bien vu ! Merci, c'est corrigé !! } –
Commentaires