Bastien Vivès enchaîne les entrechats dans « Polina »
Dans le très beau Polina, Bastien Vivès met en scène une danseuse russe. Il suit son parcours professionnel de l’enfance à la trentaine, et plus particulièrement sa relation avec son maître. Un récit épuré et maîtrisé, tout en grâce, que détaille pour nous l’auteur du Goût du chlore et co-auteur de Pour l’Empire.
Comment est né le personnage de Polina ?
Il m’a été inspiré courant 2008 par la danseuse russe Polina Semionova, que j’ai vue danser dans un clip du chanteur allemand de variétés Herbert Grönemeyer. J’avais aimé sa joliesse, la légèreté de ses mouvements. J’ai alors eu envie de traiter l’univers de la danse. Ma Polina ne lui ressemble pas tant que ça physiquement : elle a une gueule, un gros menton, des oreilles décollées, de gros sourcils… Ce n’est pas une beauté lisse, je ne voulais pas que son visage soit classique, ennuyeux.
Pourquoi l’avoir confrontée à un enseignant, le professeur Bojinski ?
Pour moi, le pilier de cet album est la relation maître-élève. Au départ pourtant, je m’étendais plus sur les relations sentimentales de Polina, mais on se retrouvait dans une espèce de sitcom, avec des histoires d’adolescents. Alors j’ai tout repris, en recentrant le propos sur son lien avec Bojinski. Je dessine ce dernier comme le « père » générique dans mes notes de blog : ses yeux et sa barbe ressortent. J’avais un prof qui lui ressemblait au lycée, et je ne peux nier la parenté avec mon propre père.
La transmission existe dans les deux cas ?
Oui, Bojinski donne à Polina des préceptes auxquels elle ne comprend rien. Il lui transmet néanmoins une espèce de feu sacré, qui lui permettra ensuite d’apprendre par elle-même et de comprendre. De la même façon, mon père [Jean-Marie Vivès] m’a transmis ce feu. Peintre et illustrateur, il m’a un temps servi de professeur. Je me souviens que lorsque je dessinais mes premiers nus, au collège, il avait tout gommé, en laissant seulement un genou : la seule partie correctement réalisée… J’ai ensuite désappris tout ce qu’il m’a appris, mais sa vision de l’art m’a donné envie de dessiner.
A travers la relation Polina-Bojinski, vous explorez le domaine artistique en général…
Oui, je souhaitais exprimer mon rapport à l’art et plus particulièrement au dessin. J’avais envie de m’extraire de la mécanique traditionnelle de l’album BD, et de retrouver la flamme qui brûlait en moi, quand j’étais plus jeune. J’ai retrouvé le plaisir du trait purement graphique. Le parallèle est évident avec la danse, qui permet aussi d’exprimer ses émotions.
Vous êtes-vous particulièrement documenté sur la danse classique?
J’ai acheté quelques livres, regardé quelques vidéos, assisté à une représentation de Blanche-Neige d’Angelin Preljocaj et à un cours, et observé les positions de base. Mais je n’ai pas fait de recherches fouillées. Il se peut qu’il y ait quelques incohérences techniques dans l’album, mais je voulais surtout montrer un apprentissage plutôt qu’une vision documentaire d’un art.
Comment avez-vous procédé techniquement ?
Je suis retourné à quelque chose de simple : du gris, du blanc et du noir. J’ai adopté le dessin lâché que je pratique sur mon blog, qui est très agréable à travailler, même si ce n’est pas mon préféré graphiquement – j’aime mieux le rendu d’Amitiés étroites par exemple, c’est à dire un trait fin avec de beaux aplats de couleur. Scénaristiquement, Polina est l’album le plus abouti que j’ai réalisé jusqu’à présent. J’ai beaucoup travaillé les dialogues et les intentions des personnages. Les relations entre les protagonistes portent l’histoire, lui donnent de la force.
Pourquoi avoir opté pour un style aussi épuré?
Ce minimalisme m’a permis de mettre en avant des regards, des attitudes, et de pousser les contrastes au maximum en utilisant des masses de noir et de gris. J’ai choisi de ne pas représenter en détail les théâtres ou les ballets, tout simplement pour investir mon énergie ailleurs.
Quels sont vos projets?
Je travaille sur un manga, à la mode des auteurs japonais [voir à droite]. Je fonctionne peu ou prou en studio avec Romain Trystram, qui s’occupe des décors, et Yves Bigerel à la mise en scène. Il s’agit d’une série de baston post-apocalyptique et science-fictionnelle, se déroulant dans des mondes et des sociétés différents – et qui devrait a priori paraître chez Casterman. Je m’occupe de l’écriture du scénario et du dessin des personnages. Notre but est de réaliser vingt pages par semaine, et de partir sur six ou sept épisodes minimum. Je ne suis pas particulièrement fan de mangas, mais j’apprécie ce format, qui permet une mise en scène fleuve et oblige à inventer des climax à chaque fin de chapitre.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Polina
Par Bastien Vivès.
KSTR/Casterman, 18€, le 9 mars 2011.
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Images © KSTR/Casterman – Bastien Vivès.
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