Baume du tigre
Quatre soeurs vivent avec leur mère, leurs oncle et tante, et surtout leur grand-père, patriarche autoritaire et vieux jeu. Originaire de Chine, il a réussi son intégration à force de sérieux et de travail dans la restauration. Et il entend que ses petites filles prennent la relève. Et ne s’émancipent point trop. Quand l’aînée évoque l’idée de faire médecine plutôt que des nouilles sautées, la crise éclate.
Pour un premier album, c’est un coup de maître. La jeune Lucie Quéméner, tout juste 22 ans et diplômée de l’Académie Brassart Delcourt, développe ici un roman graphique touchant et fort sur les relations inter-générationnelles dans une famille d’origine immigrée – sa mère est d’origine chinoise – et la prégnance de la figure paternelle, clef de voûte de l’intégration et de l’équilibre financier de la maisonnée. Au fil de chapitres non chronologiques, elle brosse par petites touches le destin de plusieurs femmes de la lignée : la grand-mère qui doit renier ses traditions après la fuite de la Révolution culturelle, la mère battue par un mari blanc et obligée de regagner la demeure paternelle, la frondeuse qui va réussir à trouver sa voie entre modernité et héritage familial. Dans un noir et blanc crayonné tout en sensibilité, l’autrice parvient à aborder frontalement mais délicatement des problématiques complexes, telles la souffrance du racisme ordinaire, l’impérieux besoin d’une génération d’immigrés de s’intégrer par la voie de la réussite commerciale, et surtout la douleur de l’abandon des rites et connaissances du pays d’origine, ainsi que le paradoxal besoin du grand-père de vivre dans un rassurant mais sclérosant entre-soi. Malgré quelques passages redondants et des têtes de chapitre où on ne comprend pas toujours où ni quand on se trouve, Baume du tigre fait preuve d’une fluidité rare pour une première oeuvre, et d’un bel équilibre entre émotion et regard distancié. Bravo.
Publiez un commentaire