BD et peinture : le grand amour ?
Les biographies de peintres, ou du moins les évocations de la vie des grands artistes, sont légion en bandes dessinées. Et pas toujours pour le meilleur. Ces dernières années, on se souvient avec plaisir de La Vision de Bacchus, Niki de Saint Phalle, le jardin des secrets, ou Dali par Baudoin. Et on a vite oublié quelques déceptions comme Modigliani, ou Gauguin loin de la route. Zoom sur quelques sorties du premier semestre 2015, qui a été bien chargé en la matière – et gageons que ce n’est pas terminé.
Collection « Les Grands Peintres » – Goya, van Eyck, Toulouse-Lautrec
Tout est dans le titre de cette nouvelle collection lancée par Glénat. Et dans son slogan : « l’histoire qui se cache derrière le tableau ». Voilà donc une série d’évocations biographiques et stylistiques des grands peintres de l’histoire de l’art, avec trois premiers volumes sortis en mars sur Goya, Jan van Eyck et Toulouse-Lautrec. L’idée n’est pas ici de produire des biographies pures et dures, d’autant qu’en 48 pages, le défi est insurmontable; un cahier historique et chronologique complète d’ailleurs chaque album, à des fins pédagogiques. Ces albums sont davantage des plongées dans un moment de la vie de ces artistes immortels, avec un recours utile à la fiction ou du moins à l’imagination inspirée du contexte réel. Goya face à ses démons intérieurs et à sa surdité galopante, dans une demeure isolée d’un désert espagnol ; van Eyck, ses intrigues diplomatiques et ses techniques secrètes ; Toulouse-Lautrec témoin malgré lui d’un sordide fait divers…
À chaque fois, même si l’on ne pénètre pas toujours très loin dans l’art des maîtres, l’angle choisi est bon et l’album agréable à lire. Goya est une vraie réussite, notamment par sa puissance graphique ; Jan van Eyck n’est pas toujours aidé par le dessin ultra raide de Dominique Hé et des dialogues longuets, mais l’histoire est bien agencée ; Toulouse-Lautrec est amusant, même si on demeure assez loin finalement de la peinture…
Globalement, plutôt une bonne surprise, donc. À confirmer avec les sorties prévues de BD sur Bruegel, Bosch, Georges de la Tour, Léonard de Vinci, David ou Mondrian.
Goya. Par Benjamin Bozonnet et Olivier Bleys.
Jan Van Eyck. Dominique Hé et Dimitri Joannidès.
Toulouse-Lautrec. Par Yomgui Dumont et Olivier Bleys. Glénat, 14,50 €, mars 2015.
Vincent
Réalisé en collaboration avec la Fondation Mondrian et le Van Gogh Museum, le roman graphique Vincent met en scène le tourmenté peintre des Tournesols lors de son installation en Provence. Avide de nouvelles sensations, rêvant de fonder une maison d’artistes en compagnie de Cézanne, il semble s’épanouir sous le soleil d’Arles, même si le manque d’argent et sa dépendance financière vis-à-vis de son frère Théo le taraudent. En proie à d’insurmontables crises d’angoisse, il peine à faire front… Loin des clichés sur la vie de Van Gogh, la dessinatrice hollandaise Barbara Stok propose un récit enjoué et coloré sur un peintre pourtant torturé. Cet audacieux décalage, créé par des séquences courtes, et surtout une ligne minimaliste et des couleurs tranchées, est tout de même un peu gênant. Car on a du mal à se figurer la radicalité picturale de Van Gogh et son cheminement artistique, ainsi que mental – il se coupe une oreille comme il se serait coincé le doigt dans une porte… Si la lecture n’est pas désagréable, et parfois instructive (car basée sur la correspondance entre les deux frères Van Gogh), l’ensemble laisse toutefois comme un sentiment d’inachevé et de trop grande naïveté.
Vincent. Par Barbara Stok.
EP, 16 €, janvier 2015
Frida Kahlo
Entre sa relation passionnelle complexe avec le peintre muraliste Diego Rivera et sa rencontre avec un Léon Trotski en exil, l’éclosion de son art et ses querelles avec les surréalistes, le destin de la Mexicaine Frida Kahlo est un matériau idéal pour une bande dessinée. Encore ne faut-il pas oublier son oeuvre, poétique et tourmentée, obsédée par son corps mutilé et sa propre image… Hélas, dans le scénario de Frida, Jean-Luc Cornette a du mal à s’affranchir d’un déroulé chronologique et à pénétrer un univers mental et pictural, à la fois charnel et onirique. Il multiplie ainsi les digressions autour de l’entourage de son héroïne, enchaîne les séquences plates de rencontres et de discussions, et n’effleure presque jamais l’essence de sa peinture. Dès lors, le dessin léger – et parfois maladroit – de Flore Balthazar ne fait qu’illustrer cette succession de scènes avec une trop grande distance. Une grosse déception pour un sujet qui avait tout pour être extraordinairement fécond. On se retournera alors avantageusement vers le beau film Frida de Julie Taymor, bien plus inspiré.
Frida Kahlo. Par Flore Balthazar et Jean-Luc Cornette.
Delcourt, 16,95 €, février 2015.
Rembrandt
Bien loin du funèbre one-shot d’Olivier Desprez sur le même peintre paru chez Casterman en 2008, le Rembrandt de Typex est une oeuvre imposante, truculente et jouissive. En racontant pas à pas la vie du maître du clair-obscur, mais dans l’oeil de ceux et celles qui l’ont entouré, l’auteur néerlandais brosse avec intelligence et un vrai parti-pris un peintre génial et solitaire, collectionneur compulsif de babioles bizarres et véritable panier percé, constamment criblé de dettes et incapable de faire fructifier ses oeuvres. Avec un trait racé et toujours en mouvement (superbes séquences de foule), un sens consommé de l’usage du sépia et du crayon, un goût pour les découpages audacieux, il nous entraîne dans un tourbillon crasseux et morbide (les rats, les carcasses, la peste), et pourtant toujours lumineux. Comme la peinture d’un artiste légendaire, faisant naître du noir profond un univers foisonnant et bien vivant. Dorure, jaquette, et simili-cuir, Casterman a soigné son édition pour une bande dessinée fleuve et passionnante, un petit bijou.
Rembrandt. Par Typex.
Casterman, 25 €, mai 2015.
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