BD et politique : demandez le programme !
Année électorale oblige, les bandes dessinées traitant de politique fleurissent en même temps que les jonquilles au printemps. Nous vous avions déjà concocté une petite sélection, en voici une nouvelle, dotée d’albums solides et variés.
Dans les coulisses
Faire la loi
La loi est discutée et votée par le Parlement. OK, ça c’est le principe. Mais concrètement, comment ça fonctionne ? Les journalistes du Monde Hélène Bekmezian et Patrick Roger ont décidé de l’expliquer avec pédagogie, sans occulter les détails, apportant leur expertise des mécanismes parlementaires, parfois franchement complexes. Et il se sont basés sur le cas réel de la loi Macron, marathon législatif de plus d’un an, entre élaboration ministérielle et recours au 49-3. Avec le dessinateur Aurel, ils inventent des astuces visuelles et narratives tout à fait pertinentes, pour décrire et bien faire comprendre chaque étape : jeu de l’Oie version Bercy pour montrer le cheminement, pièce de théâtre aux couleurs du Palais Bourbon pour évoquer les joutes verbales entre le ministre et ses opposants, le trait se veut vif, expressif et plutôt drôle. Les différents responsables politiques, Emmanuel Macron au premier chef, sont présentés avec humour mais aussi une certaine retenue, car on est bien ici dans un documentaire pédagogique et non dans du dessin satirique. Mission largement accomplie, car on comprend tout et dans la bonne humeur. Tout en se disant qu’il y a peut-être un peu d’huile à mettre dans les rouages de la démocratie française…
Glénat, 14,95 €, mars 2017.
Désintégration
C’est peut-être le meilleur livre politique de la saison. Matthieu Angotti y raconte ses années de conseiller politique à Matignon, alors dirigé par Jean-Marc Ayrault, au début du quinquennat Hollande. Issu du monde associatif, il est un des rares représentants de la société civile dans l’administration, et a pour mission d’échafauder un plan de lutte la pauvreté et une refondation de la politique d’intégration. Si le premier a bien éclos, la seconde est tombée aux oubliettes. C’est l’histoire, intime et éminemment politique, de cet échec que narre Matthieu Angotti, avec talent. Il explique avec beaucoup de simplicité les arcanes du pouvoir, le jeu de dupes des conseillers, la prison dorée de Matignon, le rythme de travail intense, les grands espoirs d’une nouvelle génération de hauts fonctionnaires arrivés avec le retour de la gauche au pouvoir, et leurs tout aussi grandes désillusions. Il se confie sobrement et sincèrement sur ses attentes, son engagement authentique, ses stratégies, ses faiblesses aussi, notamment quand il profite des avantages de la fonction. Cette franchise doublée d’un bon sens de la pédagogie et de la dramaturgie fait décoller le livre au-delà du simple témoignage. Le dessinateur Robin Recht (Elric, Le Troisième Testament: Julius…) s’est mis au diapason, avec un trait suffisamment réaliste pour croquer des visages familiers et expressifs, mais épuré pour prendre de la hauteur, mis en couleurs en deux teintes pastel, afin de rester dans le registre de l’intime. Désintégration réussit ainsi un double tour de force salutaire : d’une part, prouver que certaines de nos élites dirigeantes oeuvrent avec conviction, et d’autre part, montrer qu’on peut être ému par un livre politique. Bravo.
Delcourt, 17,95 €, mars 2017.
La Démocratie en BD
Expliquer le fonctionnement de la Ve République aux adultes, c’est déjà pas facile, mais alors aux enfants, c’est un vrai défi ! Défi relevé par Nathalie Loiseau, directrice de l’ENA, qui quitte ses habits de haut fonctionnaire pour ceux de pédagogue. Dans cet album, elle met en scène deux collégiens de 6e tentés de se présenter comme délégués de classe. Et qui aimeraient mieux comprendre le principe des élections, l’intérêt d’une constitution, le rôle des ministres… Bref, ce qui fait la réalité de la démocratie dans laquelle ils vivent. Avec le dessin ultra simple et doux de Aki, on revient sur les fondements de celle-ci et son fonctionnement aujourd’hui, en partant d’exemples concrets du quotidien. De quoi parler aux plus jeunes, et rappeler quelques principes fondamentaux à leurs parents.
Casterman, 12,50 €, janvier 2017.
Faire front
Totalitaire
« Il est encore temps d’éviter le pire. » Le sticker collé sur la couverture de la suite de La Présidente affiche l’engagement de cette bande dessinée de politique fiction : en montrant, à partir d’une solide documentation et d’une extrapolation pas si folle du présent, ce que pourrait être la réalité du quinquennat de Marine Le Pen, l’universitaire François Durpaire alerte sur l’inévitable dérive totalitaire d’une France érigeant la paranoïa et la préférence nationale au rang de principes fondamentaux. Un second tome quasi expurgé de l’histoire bancale d’un groupe de militants anti-FN, qui déséquilibrait le premier volume. Tant mieux. Car ce tome 2 , toujours dessiné dans un style photographique efficace par Farid Boudjellal, dévoile la fin du premier quinquennat et la campagne de réélection de la présidente, menacée par un candidat rassembleur issu de la société civile, et dans son propre camp par l’ambition terrible de sa nièce Marion, encore plus extrémiste qu’elle. Dans cette société ultra surveillée grâce aux nouvelles technologies et aux lois votées sous François Hollande, le repli de la France sur elle-même semble inévitable et pourrait conduire, outre une explosion de l’Union européenne, à la naissance d’un nouvel axe Russie/France /Royaume-Uni/États-Unis des plus flippants. Bien sûr, le trait est forcé. Mais pas tant que ça. C’est bien le plus effrayant. À suivre dans le tome 3 : La Vague.
Les Arènes/Demopolis, 20 €, octobre 2016.
La Dynastie Le Pen
Ce n’est ni la première, ni sans doute la dernière bande dessinée sur Marine Le Pen et sa famille. Mais ce volume écrit par le journaliste Renaud Dély (Sarkozy et ses femmes) a le mérite de proposer un rappel historique de la carrière de Jean-Marie et l’émergence de sa Marine, des bagarres de jeunesse du premier contre les communistes du Quartier Latin, à son exclusion par sa propre fille du parti qu’il a fondé, en passant par la torture pendant guerre d’Algérie, son arrivée à l’Assemblée nationale avec le parti poujadiste, la querelle avec Bruno Mégret et les différents débordements médiatiques du patriarche (détails de l’Histoire, me direz-vous). Dans un style caricatural assumé, porté par le trait agité de Fred Coicault, l’ouvrage est plutôt amusant, mais se veut davantage un portrait de famille désolant en mode sitcom qu’un essai politique. Qui a néanmoins le mérite de rappeler d’où vient le Front national, ce que sa phase de « dédiabolisation » soutenue par Marine Le Pen et ses proches des dernières années a tenté de gommer.
Delcourt, 16,95 €, mars 2017.
Rions un peu, tout de même
Le Grand et le trop court
Petit retour en arrière : il y a dix ans, Nicolas Sarkozy devenait président de la République. Une élection que l’ancien ministre de l’Intérieur espérait depuis si longtemps, et un objectif qui l’a conduit à toutes les manoeuvres politiciennes possibles dans son propre camp. Comme se faire adouber par Jacques Chirac, le trahir pour Balladur, puis redevenir indispensable au clan corrézien. C’est cette trajectoire que raconte cet ouvrage, écrit par Jean-Luc Barré, biographe de Chirac, et dessiné avec style par Jean-Paul Krassinsky (Le Crépuscule des idiots). Les auteurs mettent ainsi en scène le fraîchement retraité Jacques Chirac qui se met à travailler sur ses mémoires, en tâchant, à la demande de Bernadette, de ne pas dire trop de mal du nouveau président. Pas facile, tant il le méprise et saute sur la moindre occasion pour le rabaisser. C’est donc un livre pro-Chirac et anti-Sarkozy, qui rappelle un certain nombre de faits peu glorieux à l’actif du second, et qui se révèle souvent hilarant. Il est parfois bon pour le moral de se moquer.
Casterman, 14,90 €, mars 2017.
Votez Le Teckel
Qui aurait pu imaginer cela ? Guy Farkas, ancien légionnaire et gloire des visiteurs médicaux, en lice pour la présidence de la République. Impossible ? Mais impossible n’est pas Teckel ! Le personnage inventé par Hervé Bourhis se met donc en campagne, manipulé par des communicants souhaitant inventer un candidat fantoche pour servir la réélection du président en place. Sauf que, évidemment, le Teckel, armé de son humour graveleux, de sa verve rimbaldienne et de son amour du centrisme, et bien aidé par une communication efficace sur les réseaux sociaux et quelques coups de chance, grimpe dans les intentions de vote. Jusqu’à être en mesure d’y croire… Très malin et souvent désopilant, le scénario d’Hervé Bourhis, mis en dessin par Grégory Mardon, est surtout étonnement plausible : dans un paysage politique nécrosé par de vieilles élites qui s’accrochent, plombé par les affaires judiciaires, où la tentation du grand coup de balai se fait jour dans le coeur de nombreux électeurs, l’apparition d’un personnage hors système, sympathique bien que démago, macho et un peu réac’, pourrait tout faire basculer. Derrière la farce point un constat finalement pessimiste sur l’état de la démocratie en France. Bien vu.
Casterman, 17,95 €, janvier 2017.
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