Beaux livres pour Noël 2018 (2) – spécial intégrales
Après une première sélection de beaux livres très graphiques, voici notre deuxième étape de fin d’année : une petite balade dans des intégrales alléchantes.
La Ballade de Halo Jones
Dernière nouveauté chez Delirium, La Ballade de Halo Jones, l’une des pépites méconnues du scénariste culte Alan Moore. Une œuvre de jeunesse parue dans la revue britannique 2000 AD entre 1984 et 1986. Halo Jones vit sur l’Anneau, un monde futuriste déprimant, rongé par le chômage et l’ennui. Aux côtés de Brinna, Rodice et son chien Toby, elle nourrit des rêves d’évasion, fantasmant un magnifique vaisseau, le Clara Pandy… Soldate, serveuse, elle va enfiler les costumes et se lancer dans une aventure truffée d’embûches pour découvrir un monde plus sombre et destructeur que jamais… Trois nouveautés pour cette réédition donc, après celle de Soleil en 2011 : une traduction vive et bien sentie, revue par Doug Headline, le respect du format original (22,5x30cm) et l’ajout de couleurs. Réputée difficile d’accès, La Ballade de Halo Jones gagne ici en lisibilité avec ce nouveau texte, plus prompt à faire entrer le lecteur dans cette SF sombre et très construite. Le grand format, lui, valorise le trait de Ian Gibson en révélant mieux les niveaux de détail. Reste ces couleurs, plutôt ternes, qui convaincront à moitié celui qui aura déjà lu l’album en noir et blanc. Pas désagréables et adaptées tout en rendant le récit plus accessible, elles n’apportent pas de réelle plus-value et font perdre au récit un peu d’intensité ou d’expressivité. Un détail toutefois pour ceux – et ils sont nombreux – qui ne connaissent pas encore ce « trésor caché », une histoire de SF féministe, une quête initiatique déchirante. Vous pourrez l’acheter les yeux fermés. Car voilà un incontournable de l’œuvre du génial Alan Moore.
Par Alan Moore, Ian Gibson et Barbara Nosenzo (couleurs). Delirium, 216 p., 29 €.
Un homme de goût / Monkey Bizness
El Diablo a parfaitement passé le cap des Lascars. Après sa série télé devenue un long-métrage réussi, il a su se faufiler entre les lignes et développer des projets de bande dessinée hors des cases habituelles. En trouvant chez Ankama l’espace adéquat pour accueillir ses histoires mettant l’accent sur les sensations fortes, de l’humour tapageur au thriller sanguinolent. L’éditeur nordiste remet en avant son travail en cette fin d’année, en publiant deux intégrales de séries marquantes : le diptyque Un homme de goût et la trilogie Monkey Bizness.
Le premier cycle d’Un homme de goût met en scène une ex-flic traquant un tueur en série insaisissable. Qui s’avérera être un peu plus que ça… Cet hommage moderne au mythe de l’ogre est brossé par Cha, avec qui El Diablo a aussi réalisé Pizza Roadtrip, dans un style cartoon hirstute du plus bel effet. Une petite perle noire.
Quand on mange, il faut boire. Avant d’être propulsé sous les projecteurs avec le bouleversant Carnet de santé foireuse, Pozla avait déjà dessiné les premières histoires de Monkey Bizness. Soit les tribulations alcoolisées et enfumées d’un babouin et d’un gorille, dans une cité vidée des hommes, mais gangrénée par le crime et la bêtise. Dialogues qui claquent, situations fantasques, le scénario d’El Diablo est un délice potache qui suscite régulièrement l’hilarité. Et le dessin influencé à la fois par l’animation et la culture street répond avec la même énergie. Alors payez-vous une tournée de Monkey Bizness avec cette grosse intégrale de 400 pages, c’est jouissif et jamais nocif !
Un homme de goût . Par Cha et El Diablo. Ankama, 136 p., 19,90 €.
Monkey Bizness. Par Pozla et El Diablo. Ankama, 400 p., 29,90 €.
Fletcher Hanks – oeuvres complètes
Actes Sud/L’An 2 avait déjà bluffé tout le monde, en 2007, en publiant Je détruirai toutes les planètes civilisées, des aventures super-héroïques quasi inconnues, au ton et au dessin bizarroïdes. Oeuvre d’un auteur oublié, qui a travaillé pour l’industrie des comics de 1939 à 1941 sous divers pseudonymes avant de disparaître de la circulation, les strips de Stardust et autres Fantomah (« la femme la plus remarquable qui ait jamais vécu ») portent aujourd’hui une naïveté brute, à la fois dérangeante et fascinante, tout pour devenir culte. Chez Hanks, tout était superlatif : les pouvoirs des héros, la méchanceté des méchants, les punitions qu’ils recevaient immanquablement. Ce mystérieux auteur revient d’outre-tombe une nouvelle fois avec un gros volume comportant une cinquantaine d’histoires, pour mieux se plonger dans un univers des plus curieux, ainsi qu’une longue introduction historique et critique. Et une bande dessinée de Paul Karasik, dans laquelle cet auteur américain spécialiste de l’oeuvre de Hanks raconte comme il a rencontré son fils. Passionnant.
Par Fletcher Hanks. Actes Sud / L’An 2. 384 p., 39,50 €.
Tarzan intégrale #2
Delirium poursuit son important travail de réédition des classiques avec le tome 2 de l’intégrale consacré au Tarzan de Joe Kubert (1972-1975), fidèle à l’œuvre d’Edgar Rice Burroughs. L’occasion pour le lecteur français de (re)découvrir un auteur hors-norme, stakhanoviste du dessin, qui a influencé toute une génération d’auteurs à partir des années 80. Découpages nerveux, grandes cases verticales, regards expressifs, combats musclés, tout concourt à faire de Tarzan une saga spectaculaire et dynamique, image d’une lutte sans pitié entre nature et culture. C’est l’homme-singe qui affronte des lions féroces ou des primates voraces, entre Paris, la Cité d’or, les déserts d’Afrique du Nord et la jungle, forcément. Avec toujours ce soupçon de désuétude qui en fait tout son charme. Vivement conseillé !
Par Joe Kubert #2, Delirium, 336 p., 35 €.
Face de Lune
Bien avant de se lancer dans l’incontournable western Bouncer, François Boucq et Alejandro Jodorowsky avaient créé la série Face de Lune, dont Le Lombard publie cet automne le premier tome (sur deux) de l’intégrale. L’histoire d’une rencontre entre deux auteurs aux nombreux points communs (ésotériques notamment), plusieurs fois repoussée, mais qui eut finalement lieu au pied de la cathédrale d’Amiens, est contée en préambule de ce joli volume, dans une intéressante introduction illuminée de recherches graphiques et d’illustrations du créateur de Jérôme Moucherot.
La fascination de Boucq pour la géométrie sacrée et le goût de Jodo pour le spirituel et le charnel se rejoignent dans cette saga autour d’une humanité déviante qu’un déluge ne parvient pas à laver de ses pêchés, et où l’on verra se construire une… cathédrale. Démarrée dans la revue (À Suivre…) comme un haletant feuilleton, Face de lune fut publié en 3 albums chez Casterman entre 1992 et 2004. Le premier tome de cette nouvelle édition par Le Lombard ne comprend « que » le premier volume de la trilogie, mais comporte nombre de textes éclairants et d’images rares. Cela vaut vraiment le coup d’oeil, aussi, bien sûr, pour l’histoire folle de Jodorowsky et le trait fouillé de Boucq, très marqué début des années 90’s, mais d’une puissance toujours remarquable.
Par François Boucq et Alejandro Jodorowsky. Le Lombard, 114 p., 22,50 €.
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