Beaux livres pour Noël 2018 (3)
De beaux livres, historiques ou plus graphiques, pour tous les âges et tous les goûts ! C’est la sélection BoDoï de fin d’année, troisième épisode (lire notre 1ère sélection ici et notre spéciale intégrale là).
Sélection réalisée par Laurence Le Saux, M. Ellis, Rémi I. et Benjamin Roure.
Vintage and badass
C’est un bad guy d’anthologie, un séduisant bandit qui dézingue à tout va mais laisse parfois parler son coeur. Tyler Cross est l’anti-héros par excellence, imaginé par Fabien Nury et dessiné par Brüno. Dans Vintage and badass, le cinéma de Tyler Cross les auteurs étalent au grand jour leurs nombreuses références, puisées dans le roman noir et le cinéma. « Nous sommes pires que des copieurs : des pillards invétérés », précise en introduction Fabien Nury. Et d’égrener ces « vols » : dans La Grande Évasion de Raoul Walsh, Humphrey Bogart les inspire pour créer leur « gangster romantique » ; Sans retour de Walter Hill les pousse à imaginer une séquence dans les marais ; Le Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot leur donne du grain à moudre : « Il nous arrive souvent de penser qu’un jour, quand il n’aura vraiment plus nulle part où aller, Tyler Cross pourrait bien finir dans un bled comme ce Guatemala de cauchemar ; à compter les mouches, le cul posé à côté de celui de Charles Vanel. » Le ton précis et gouailleur de Fabien Nury, comme le dessin épuré et punchy de Brüno, fait merveille dans ce panthéon.
Par Brüno et Fabien Nury. Dargaud, 184 p., 29,99€.
Artbook Chabouté
Ce sont des « bricoles, gribouillis et fonds de tiroirs » que dit présenter Christophe Chabouté (Purgatoire, Landru, Construire un feu…) dans cet imposant ouvrage. Après un joli hommage de CharlElie Couture (qui voit dans ses planches « de grandes plages d’ombre qui laissent inventer ce qu’on ne peut pas voir, des forces indéfinissables, mystérieuses… des flux magnétiques souterrains »), se déroule une série de portraits de musiciens et chanteurs, à la guitare, à la trompette, au piano, au micro. Tom Waits, Nick Cave, Ella Fitzgerald… Des portraits d’anonymes aussi, des scènes de l’Amérique du XIXe siècle, des architectures saisies ici ou là, des mouettes au-dessus d’un océan déchaîné, des bateaux, Broadway, Central Park enneigé, un hommage à Calvin et Hobbes, Gaston Lagaffe ou Lucky Luke… Assez envoûtant, le voyage dans le trait « chaboutéen » est accompagné des mots délicats de la compagne de l’artiste, qui a aussi suivi de près ses oeuvres.
Par Christophe Chabouté. Vents d’Ouest, 256 p., 39€.
Eaux fortes
Après sa troublante et ravissante Histoire décolorée, Amandine Meyer revient avec Eaux fortes, recueil d’une série de gravures à l’eau-forte, rehaussées d’aquarelle aux couleurs vives. Eaux fortes, déclinaisons et pot-pourri sont les trois actes d’un conte de fée étrange, petit théâtre suspendu de rêves, installant une ambiance tantôt onirique, tantôt surréaliste, toujours intrigant. De jeunes filles furetant dans la forêt, des bébés buvant au goulot ou pris dans une cascade de larmes, des anges qui jouent à colin-maillard, des déesses perdues, il n’en faut pas plus à l’auteure pour nous embarquer dans ce petit monde en apparence lisse mais truffé de détails, cachés dans ces forêts luxuriantes, source de toutes les échappées. Et pour magnifier le livre joliment édité par les éditions Misma, un élégant dos toilé bleu et le « petit livre de naissance » collé à l’intérieur de la quatrième de couverture. Comme la possible clé des songes. Un univers sensitif de toute beauté.
Par Amandine Meyer. Misma, 64 p., 18 €.
Pif Gadget, 50 ans d’humour, d’aventures et de BD
Les Pifises, les pois sauteurs du Mexique et la machine à faire des oeufs carrés. On pense évidemment à ces merveilleux bidules en évoquant la belle histoire de Pif Gadget, hebdo pour la jeunesse publié entre 1969 et 1993 sous la houlette de L’Humanité. Christophe Quillien, qui dit avoir « grandi grâce aux vitamines de croissance (gadget n°61) » et « appris à écrire avec le stylo microscope (gadget n°190) », détaille dans un ouvrage à la fois pétillant et nostalgique, richement illustré, l’histoire et les principaux héros du journal. Il y a bien sûr Pif le chien, créé par l’Espagnol José Cabrero Arnal (aussi auteur de Placid et Muzo), mais aussi Fanfan la Tulipe, Gai-Luron, Arthur le fantôme justicier, M le magicien, Dicentim le petit Franc ou Rahan, le fils des âges farouches. Enchaînant les anecdotes sur telle ou telle série, l’auteur suscite un fort effet madeleine. Qui atteint son apogée quand sont listés, un peu trop rapidement, quelques fameux gadgets.
Par Christophe Quillien. Hors Collection, 271 p., 29€.
L’Album de Kyôsai
Parmi les grands peintres japonais de la période d’Edo, les occidentaux connaissent surtout Katsushika Hokusai et Utagawa Hiroshige. Kawanabe Kyôsai aurait pourtant tout le mérite d’être reconnu, car il est considéré au Japon comme l’un de leurs plus grands successeurs. Cet Album de Kyôsai, vendu dans un coffret, est un livre qui se présente comme un grand leporello enchaînant les dessins. On prend plaisir à le déplier et à le parcourir au hasard, en sautant d’une image à l’autre. Les estampes reproduites sont de sublimes encres de Chine et lavis aux couleurs délicates. Sont représentés la faune et la flore, les humains, mais aussi les dieux et croyances. Le trait léger et jeté de l’artiste fait penser aux fameux carnets Hokusai manga. Le ton fantaisiste exubérant apporte de la nouveauté pour l’époque. Kyôsai est d’ailleurs considéré comme le premier caricaturiste du Japon. Une belle découverte, à partager avec les petits et grands.
Par Kawanabe Kyôsai sous la direction de Oikawa Shigeru. Philippe Picquier, 124 p., 39 €.
Anthologie de la fellation en BD
Il fallait oser, les éditions Dynamite l’ont fait. Choisir les meilleures scènes de fellation dans la bande dessinée érotique et les mettre en lumière dans un beau livre : voilà ce à quoi s’est attelé Nicolas Carteret, au fil de plus de 220 pages. Après une longue introduction sur la représentation de l’amour buccal dans l’art antique et classique, un peu comme une justification du propos (mais pas inintéressante, cela dit), l’ouvrage déroule les albums par ordre alphabétique, de sorte qu’on saute de Crepax à Bastien Vivès, de Serpieri à Gillon, d’Ardem à Baldazzini. Quelques planches bien choisies, un texte court et instructif pour mieux apprécier la scène. Si on regrettera l’absence de mangas, cette anthologie reste un ouvrage soigné, à réserver aux spécialistes et à ceux qui cherchent des idées de lecture de BD X, genre peu médiatisé. Car on y (re)découvre des dessinateurs incroyables comme Quinn (Ombre et lumière) ou Joël Jurion (Cent pudeurs).
Par Nicolas Carteret. Dynamite, 224 p., 25 €.
Petits travers
Elle a dessiné le choc des générations (« Les vieux ça comprend rien », assène Agrippine, ce à quoi la très senior Zonzon répond : « et les jeunes c’est le déclin »), la relation à l’apparence physique – « Good ! Maintenant faut racheter à mort », lance une modeuse qui vient de vider son placard à vêtements –, le lien à la « bouffe », la tendance écolo, les soucis éducationnels… Bombardée « sociologue » par Roland Barthes en 1976 , Claire Bretécher (Les Frustrés) a en effet su saisir avec un esprit terriblement piquant les caractéristiques de ses contemporains. Ces Petits Travers compilent des dessins rappelant son esprit truculent, son trait vif, synthétique et acéré. Un vrai plaisir de lecture, toujours et encore.
Par Claire Bretécher. Dargaud, 112 p., 19,99€.
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