Beaux livres pour Noël 2018 (4)
Encore des beaux livres, historiques, humoristiques ou plus graphiques, pour tous les âges et tous les goûts ! C’est la sélection BoDoï de fin d’année, quatrième épisode (lire nos précédentes sélections ici, là et là).
Sélection réalisée par Laurence Le Saux, M. Ellis, et Rémi I.
Le Fond de l’air est Fred
Poésie, humour, imagination débridée, ironie crasse, romantisme échevelé… Fred a mêlé toutes ces qualités dans une oeuvre nourrie, dont Dargaud republie ici des histoires courtes et quelques dessins inédits. En préambule, Yves Frémion rappelle que Philémon a séduit le grand public, occultant la face plus poil à gratter de l’artiste, notamment l’humour noir qu’il déployait dans Hara-Kiri. « On note au passage que le noir et blanc sied mieux à ses dessins, affirme-t-il. Ils sont toujours plus puissants qu’accompagnés de couleurs, et même ses BD s’en passeraient sans déchoir. un bleu sympathique, un vert attendrissant, un jaune « allégret » ne peuvent que diluer la rosserie du sujet. » Rosses en effet sont ses dessins sur la religion, la sorcellerie ou la découverte de l’espace. On se délecte aussi d’une illustration piquante d’un collogue de Paul Déroulède (adressé à ses camarades de l’armée en 1873) ou encore d’une visite vaudevillesque et totalement surréaliste chez le médecin. Montrant, chacune à sa manière, le génie éclatant de Fred.
Par Fred. Dargaud, 352 p., 29,99€.
ABCD de la typographie
Raconter par la bande dessinée l’histoire de la typographie, « le médium principal de notre communication » selon David Rault, scénariste et spécialiste de la chose. Son pari est malin, ambitieux. Et réussi. Une pléiade d’auteurs (François Ayroles, Hervé Bourhis, Alexandre Clérisse, Anne Simon…) viennent lui prêter main forte pour narrer en quelques histoires courtes les origines de l’alphabet et les évolutions de son écriture, de la civilisation sumérienne en Mésopotamie à l’explosion des genres à la fin du XXe siècle – avec l’apparition du caractère DIN, permettant une exécution très simple –, en passant par la Bible de Gutenberg, les premiers caractères destinés aux publicités (qui prennent moins de place), ou la photo-composition. Après cette lecture, promis, vous ne regarderez plus les empattements des lettres de la même façon.
Par David Rault, avec Seyhan Argun, Aseyn, François Ayroles, Hervé Bourhis, Alexandre Clérisse, Olivier Deloye, Libon, Delphine Panique, Jake Raynal, Anne Simon et Singeon. Gallimard, 128 p., 24,90€.
Les Leçons particulières d’Osamu Tezuka
Alors que pour fêter les 90 ans de la naissance d’Osamu Tezuka les éditions Delcourt/Tonkam rééditent ses titres emblématiques (et indispensables !) sous forme de belles intégrales, les éditions Philippe Picquier viennent de sortir un ouvrage didactique du maître. Et qui de mieux que celui qu’on considère comme le « Dieu du manga » pour donner une leçon de manga ? Dans cet ouvrage, le mangaka souhaite redonner le goût du dessin à ceux qui l’ont perdu et mener le plus de monde possible à créer leurs propres mangas. Construit en trois parties complémentaires, il offre de très nombreux détails et explications concrètes pour se lancer. Après avoir parlé du dessin, des personnages, des onomatopées et des décors, viennent ensuite le développement des idées et la construction d’une solide structure narrative. Car, fondamentalement, Osamu Tezuka revient aux sources du manga et invite à éviter de dessiner sans but, tout en appuyant sur l’importance de la narration et de raconter une histoire. L’ouvrage a finalement peu vieilli (il date de 1977 !) et fait son office. Drôles, simples, informatives, ces leçons particulières mettent en confiance et donnent envie de s’y mettre. Elles témoignent de tout le recul et l’expertise qu’avait Osamu Tezuka alors qu’il avait la tête dans le guidon, enchaînant les planches à une vitesse folle. Si ce livre s’adresse surtout aux dessinateurs peu aguerris, il pourra donner ou rappeler quelques conseils judicieux aux autres. À mettre entre de bonnes mains, d’adultes ou d’enfants, pour laisser la magie opérer.
Par Osamu Tezuka. Philippe Picquier, 286 p., 22 €.
Mode’ODay
Les indispensables éditions Cornélius remettent au goût du jour Mode O’Day, portrait au vitriol de l’Amérique des eighties, signé par le pape de l’underground Robert Crumb. Pourquoi cette réédition d’un album que beaucoup considèrent comme mineur dans l’œuvre de l’auteur américain ? Car mettant en scène un archétype de femme américaine, ambitieuse, confiante, sûre de son pouvoir d’attraction, le sourire aux lèvres et les fesses rebondies nourries au lait de l’ultra-libéralisme, Mode’ODay révèle une autre facette de Robert Crumb, « celle du commentateur social », analyse Jean-Pierre Mercier dans l’excellente préface. Crumb raille la médiocrité ordinaire de ses personnages, la vanité d’individus prêts à tout pour réussir dans un Los Angeles bling bling. Trop de fric et de m’as-tu vu qui gravitent dans les milieux de la mode et de l’art. Ils ne peuvent que chuter. C’est drôle, grinçant et le désir de célébrité n’a jamais paru aussi ridicule. Impression renforcée par les fausses pubs qui épinglent l’artificialité de personnages absents au réel. Mais aussi par le mélange des genres, Mode’ODay étant affublée de deux animaux, Doggo, un chien désabusé, et Porpy, un marsouin condamné à la solitude… Pour cette réédition, une nouvelle traduction, des dessins inédits, une préface et les strips de Roberta Smith. Une œuvre créée au milieu des années 1980 mais étrangement actuelle.
Par Robert Crumb. Cornélius, 80 p., 20,50 €.
Le Petit Livre French Pop
Ils le promettent tout de go : « La French Pop, ce n’est pas un titre un peu franglais pour faire les kékés, c’est ainsi qu’on appelle notre musique à l’international. » Les deux Hervés (Bourhis et Tanquerelle) s’attellent donc à la chanson française. Le premier a une grande expérience de ce genre d’ouvrages, puisqu’il a signé Le Petit Livre Rock, des Beatles et Black Music. Il sait donc comme personne compiler des décennies de musique pour en tirer des moments-clés, anecdotes rigolotes et artistes marquants. Le second (Groenland Vertigo) met sa ligne claire et dynamique au service de « la musique, oui la musique » (coucou Nicoletta). Ça commence en 1792 avec La Marseillaise — « tube révolutionnaire international, même samplé par les Beatles » —, et se termine en 2018 avec les « Singes arctiques » (alias Arctic Monkeys) qui ont enregistré leur dernier album en France, sous « les influences assumées de François de Roubaix, Gaisbourg-Vannier et Véronique Sanson ». Entre temps, on aura (presque) résolu les problèmes d’Antoine, sifflé sur la colline avec Joe Dassin, péniblement enregistré Melody Nelson avec Gainsbourg, arpenté les paradis perdus de Christophe, nettoyé les draps de Il était une fois, cherché le garçon avec Taxi-Girl, ou attrapé Zobi la mouche des Négresses vertes.
Par Hervé Bourhis et Hervé Tanquerelle. Dargaud, 244 p., 24, 99€.
Littérature de la pop culture
La culture de l’imaginaire est incroyablement riche et a le vent en poupe. Plus que jamais les œuvres des auteurs phares de la pop culture sortent de l’ombre de leurs confrères de la littérature classique. Ce regain de reconnaissance et cette mise en avant sans précédent sont notamment dus au nombre croissant d’adaptations sur petits et grands écrans de leurs œuvres cultes. Partant de ce constat d’intérêt de la part du grand public, Thomas Olivri (créateur de Geek-Art) a souhaité mettre en avant dans ce luxueux ouvrage une cinquantaine de grands auteurs de fantasy, de science-fiction, d’aventure et d’univers fantastiques. S’ils ne sont pas tous des stars, ils ont le mérite d’avoir marqué leurs lecteurs et l’histoire de la littérature. Après une biographique succincte de chacun d’entre eux, l’auteur présente leur(s) œuvre(s) majeure(s). On retrouve des auteurs aussi divers que Jules Verne, Oscar Wilde, Philip K. Dick ou J.K. Rowling, mais aussi des moins connus du grand public. Les œuvres présentées aussi varient du très connu au plus confidentiel… et c’est d’ailleurs ce qui fait toute la force de l’ouvrage. Le mélange entre œuvres classiques qu’on n’a jamais lues, œuvres récemment adaptées et celles qui n’ont pas encore atteint les sphères du lectorat non expert est idéal. Voilà donc un ouvrage dense et joliment illustré qui vous permettra d’aller plus loin que ce que vous propose le cinéma et de titiller votre curiosité.
Par Thomas Olivri. Hachette, 240 p., 35 €.
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