Beaux livres pour Noël (3)
Troisième livraison de nos sélections de beaux livres à offrir ou se faire offrir (voir les deux premiers, ainsi qu’un chois de livres pour enfants en suivant ce lien). Des ouvrages pour tous les goûts, parmi lesquels vous devriez trouver votre bonheur.
Philippe Druillet
Retracer 50 ans de carrière tout en visant l’exhaustivité, présenter un artiste qui n’a plus rien à prouver mais finalement mal connu du grand public, c’est l’ambition de la nouvelle monographie de MEL Publisher (la maison d’édition de Michel-Edouard Leclerc) consacrée à Philippe Druillet. Fondateur de Métal Hurlant, des Humanoïdes Associés et artiste touche-à-tout, ce « colosse à la voix tonitruante » est une « légende vivante » de la BD, selon les mots de Jacques Glénat. Dans ce superbe livre de 340 pages, son ami Benjamin Legrand se livre au jeu de l’interview où l’on découvre un Philippe Druillet curieux du monde et boulimique d’œuvres d’art – il dessine, raconte, sculpte, peint, décore, adapte, lit, fait des incursions au cinéma ou à l’opéra – admirant autant Stendhal que Stefan Wul, s’inspirant des classiques pour mieux faire éclater les cadres trop rigides de la création. Mais, immanquablement, Philippe Druillet est aussi le visionnaire qui porte un amour immodéré à la BD et qui a vu en ce medium un art noble, capable de modifier notre regard sur le monde ou d’investir musées et salle des ventes.
Au fil de cette promenade artistique, on découvre une impressionnante bibliographie, de son héros récurrent Lone Sloane au glaçant La Nuit, en passant par l’adaptation du Salammbô de Flaubert, mise en valeur par le format du livre (ni trop grand ni trop petit), la large place accordée à des planches significatives et des textes équilibrés, souvent trop longs dans ce genre d’ouvrage. Hybride entre livre d’art et livre de bibliophilie, cette monographie à la splendide iconographie montre des univers de SF hallucinatoires ou cauchemardesques, où les compositions hantées donnent le change à des décors flamboyants au goût baroque. En somme, l’hommage à un artiste immense mais intime ici, modèle de toute une génération d’auteurs. Une initiative osée mais un pari largement réussi.
MEL Publisher, 340 pages, 49€.
Le Problème avec les femmes
C’est bien connu, « autrefois les femmes n’existaient pas et c’est pour cette raison qu’elles sont absentes des livres d’Histoire ». Lorsqu’elles sont apparues, les donzelles avaient une tête minuscule, si bien « qu’elles étaient nulles en tout sauf en broderie et au croquet ». Ces créatures émotives restaient évidemment à la maison où elles pleuraient « parfois de façon hystérique ». Pour Darwin, elles étaient « biologiquement inférieures » à l’homme ; Rousseau, lui, estimait qu’il « fallait contraindre les femmes dès leur plus jeune âge, afin que leur disposition naturelle qui est de plaire à l’homme leur vienne plus naturellement » ; de son côté, le baron Pierre de Coubertin, qui restaura les Jeux Olympiques, disait que « le spectacle de femmes essayant de jouer à la balle serait abject, mais qu’elles paraissaient plus naturelles si elles applaudissaient »… Dessinatrice féministe anglaise, Jacky Fleming liste les pires préjugés sur le sexe féminin, et les égrène comme autant de ridicules perles. Dans le style de gravures du XIXe, ses illustrations réjouissent autant que les clichés (certains portés par d’éminents scientifiques ou artistes) atterrent. Un petit livre satirique qui fait largement mouche.
Dargaud, 128 pages, 12€.
La France qui gueule !
Les Français sont râleurs, il paraît que c’est un peu notre sport national. Depuis toujours, ils aiment revendiquer, grogner, manifester, se rebeller et même faire la révolution. C’est cette histoire mouvementée que Manon Paulic nous relate au travers d’une soixantaine d’événements qu’elle a soigneusement choisis et retenus. De la révolte de Vercingetorix à l’attentat de Charlie Hebdo, en passant par les deux Grandes Guerres, l’époque révolutionnaire, Mai 68 ou le démantèlement d’un restaurant McDonald’s à Millau, chaque événement est recontextualisé et explicité en quelques lignes et surtout accompagné d’une illustration originale réalisée par un dessinateur différent à chaque fois. Alexandre Clérisse, Alain Pilon, Lionel Serre, Jochen Gerner, Lewis Trondheim, Jean Jullien, Zeina Abirached, voici un petit échantillon des belles signatures que vous pourrez découvrir tout au long des pages de cet ouvrage qui nous fait voir l’Histoire de notre pays d’un autre oeil.
Milan et demi, 144 pages, 25 €.
L’Héritage Jacobs
Alors que vient de sortir un 24e tome des Nouvelles Aventures de Blake et Mortimer (Le Testament de William S., par Yves Sente et André Juillard), Jean-Luc Cambier et Eric Verhoest tisonnent dans cet ouvrage « l’héritage » laissé par Edgar P. Jacobs (1904-1987) aux auteurs suivants. Surtout, ils s’intéressent à la façon dont neuf scénaristes et dessinateurs ont repris la série, depuis 1996 et L’Affaire Francis Blake. Dans des pages truffées de croquis, planches ou cases en cours de réalisation ou lettres échangées, s’expriment Jean Van Hamme, Ted Benoit, Yves Sente, André Juillard ou encore André Aubin. Chacun raconte sa façon d’appréhender les personnages, les lieux récurrents, sa technique de dessin ou d’écriture, la charge de travail que représente un album… Des coulisses incontournables pour les fans de la série.
Blake et Mortimer, 222 pages, 24,99€.
Vectorama
Chic idée des éditions Soleil, sous le label Venusdea, de publier un artbook d’Arthur de Pins. Maître dans l’utilisation du logiciel de dessin vectoriel Illustrator, le créateur de Péchés mignons propose un panorama des images qui ont jalonné sa carrière, entre dessins publicitaires, illustrations de commande, bandes dessinées et dessin animé. Avec son humour potache, son dessin cartoon ultra léché (mais jamais froid, contrairement à ce qu’on pourrait craindre d’un trait « informatique ») et ses thématiques délurées (les nuits en club, les coquineries de couple, les monstres rigolos…), l’auteur épate par tant de constance et de ténacité. Dans de courts textes explicitant la création de ses images, il revient tour à tour sur ses collaborations pour des sujets quasi érotiques, son projet La Marche du crabe et le développement du dessin animé Zombillénium. L’ensemble forme un beau livre au très grand format, idéal pour apprécier la patte unique d’Arthur de Pins.
Soleil/Venusdea, 224 pages, 34,95 €.
Siné – L’oeil graphique
Siné nous a quittés en mai dernier. De nombreux hommages lui ont été rendus, saluant cette figure de l’anticonformisme, son humour noir, grinçant et cynique, son art de la caricature et de la satire, mais aussi ses prises de positions radicales et ses coups de gueule légendaires… Ce que l’on sait moins, c’est que Siné était également un graphiste d’exception. Cet oeil affuté, cette amour de la lettre et de la mise en page, il les a construits au cours de ses jeunes années, lors de son passage sur les bancs de l’école Estienne. Les quelque 380 documents qui sont présentés dans cet ouvrage nous permettent de partager la passion qu’il a su entretenir pour l’art de la composition, et d’apprendre, par exemple, qu’il a initié le changement du logo de Charlie Hebdo lors de son entrée au journal. Campagnes de publicité, affiches, cartes de voeux, pochettes de disques, couvertures et unes de journaux, ce beau livre, qui a été réalisé avec la collaboration de François Forcadell, permet de poser un regard nouveau sur l’ouvre de ce grand personnage.
Éditions de La Martinière, 29,90€, octobre 2016.
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