Beaux livres pour Noël : la patte des grands auteurs
Après nos sélections humour, illustration et manga, voici un nouveau choix de beaux livres, consacrés aux ouvrages centrés sur un auteur en particulier, explorant une oeuvre dans le détail, en images ou en mots.
Yves Chaland, une vie en dessins
Il avait fait le choix « de s’adresser aux adultes avec les techniques de bandes dessinées pour enfants », selon sa veuve Isabelle Beaumenay-Joannet. Yves Chaland (1957-1990), disparu à 33 ans des suites d’un accident de la route, est l’objet d’un superbe livre. Jean-Christophe Ogier, spécialiste BD de France Info, raconte en quelques textes pertinents « une ligne claire, précise, fluide, bondissante », assortie d’un « propos acide ». Surtout, il revient sur la carrière du créateur de Freddy Lombard ou du Jeune Albert. Il pose d’abord sa fascination pour les grands auteurs belges, de Jijé à Willy Vandersteen, en passant par Franquin, Jacobs, Hergé, Peyo ou Maurice Tillieux. Natif du Sud-Ouest, en France, le jeune homme réalisait déjà, à quatorze ans, des centaines de planches inspirées de Spirou et Fantasio. Après les Beaux-Arts de Saint-Étienne, il se rend indispensable à Métal Hurlant, à la fin des années 1970. « Yves Chaland avait une grande culture de l’image, dit à son sujet François Avril, qui l’eut comme « professeur particulier de bande dessinée ». Non seulement il avait digéré toute l’histoire de la BD, mais il connaissait les Allemands George Grosz et Max Beckmann, l’Américan d’origine roumaine Saul Steinberg, le Français Gus Bofa. De toute la bande, Chaland était le plus savant. » Jean-Pierre Dionnet, qui le fit venir à Paris, ne fait pas l’impasse sur les failles ou ambiguïtés du personnage : « Il racontait ses lectures d’enfance et, en même temps, il démolissait ce regard d’enfant et cette nostalgie. C’est là qu’il était le plus vicieux, car c’était son monde propre. Je me suis toujours demandé s’il était un réel ami de la Ligne Claire. À part Franquin, aimait-il réellement ces bandes dessinées ? » L’ouvrage offre une merveilleuse iconographie, des premiers dessins et planches de Chaland (on remarque même un autoportrait à la peinture à l’huile, très médiéval) à des publicités pour des cornflakes ou bûches glacées, en passant par de multiples illustrations, crayonnés, fausses couverture de recueils Spirou… Une somme riche, incontournable pour qui s’intéresse à la Ligne Claire.
Par Jean-Christophe Ogier. Ed. Champaka Brussels / Dupuis, 384 par., 55€.
Manara – Sublimer le réel
« Sublimer le réel », c’est le titre choisi pour l’imposant ouvrage publié par Glénat qui se présente comme une « rétrospective de cinquante ans de carrière » de Milo Manara. Quelques textes très courts, et surtout de l’image, de l’image, de l’image, pour mieux montrer comment l’artiste a su mettre son trait réaliste au service de l’onirisme, de l’aventure et du fantasme. Et c’est tant mieux, car rien de vaut de pleines pages d’illustrations pour admirer la virtuosité de l’auteur du Déclic. Là où l’exposition du Festival d’Angoulême 2019 célébrait son travail en bande dessinée, c’est davantage son oeuvre d’illustrateur qui est ici mise en avant. Ainsi, si la première moitié est consacré à « 50 ans de BD », peu de planches sont présentées, mais plutôt des personnages (aaahh, ces fameuses pin-up des années 1980, toujours aussi torrides), ses travaux avec ses maîtres et amis Pratt et Fellini, ses grandes fresques historiques, etc. Où l’on distingue ses obsessions graphiques et son talent pour utiliser divers outils (de la hachure d’encre à la Moebius, jusqu’à la peinture pompière, en passant par le crayon et la délicate aquarelle), au fil de pleines pages lumineuses. Même chose pour la seconde moitié, consacrée à l’illustration, pour la presse, la publicité (Chanel, Swatch…), le cinéma (notamment des dessins préparatoires pour des films inspirés de L’Odyssée d‘Homère ou de Barbarella)… Avec toujours une ligne élancée, des femmes fantasmatiques, des couleurs subtiles. Voilà donc une somme qui ravira les fans de Manara et, plus largement, les amateurs d’érotisme dessiné.
Par Milo Manara. Glénat, 512 p., 49,90 €.
Boule et Bill, l’art de Roba
« Je suis un dessinateur heureux, assurait-il en 1996. Peut-être parce que, tout simplement j’aime les images. Je transforme tout en images. La vie est une image. » Jean Roba (1930-2006) est associé à ses créatures les plus fameuses, le garçonnet Boule et le chien Bill — du nom de son premier cocker (il en aura sept !). Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault (auteurs de nombreux livres, fouillés, sur la BD franco-belge) lui consacrent un ouvrage copieux, gorgé de photos, crayonnés, planches, illustrations… Retraçant d’abord « les souvenirs d’un enfant de la guerre », des premières années heureuses en périphérie de Bruxelles, une fascination pour les avions ennemis qui passent au-dessus de sa tête, une insouciance… « Les fleurs et les oiseaux continuaient d’exister pendant que se perpétraient des horreurs. » Captivé par les films de Walt Disney, il se destine à l’animation, fait un apprentissage dans un atelier de vitraux, exerce dans la publicité. En 1955, le jeune père — d’un petit Philippe — adopte un cocker roux, baptisé Bill. À la suite d’un rendez-vous avec Maurice Rosy, de Dupuis, il participe à un Spirou spécial Noël, puis devient un collaborateur permanent de Franquin. En 1959, Boule et Bill débarquent dans Le Journal de Spirou. Le petit garçon s’est inspiré de son fils Philippe, 8 ans, « surnommé Bouboule pour la rondeur de sa bouille ». « Ce qu’il a véritablement en tête avec Boule et Bill, c’est de transposer à la Belgique la formule du family strip américain, ces bandes dessinées nées dans les funnies – les pages d’humour des éditions dominicales des grands quotidiens du début du XXe siècle – conçues pour fidéliser le lectorat », expliquent les auteurs de L’Art de Roba. La « famille traditionnelle » prend ses aises dans Spirou. « Je crois tout d’abord que la BD est un art purement visuel, estimait Roba. Le texte n’y joue qu’un rôle d’appoint. » L’artiste explore dans sa série la nature qu’il aime tant, la flore mais aussi particulièrement la faune, donnant de beaux rôles à une pléiade d’animaux. Des débuts de Roba aux aventures de La Ribambelle, en passant par l’évolution de son trait, de plus en plus dynamique, ou la transmission à Laurent Verron – qui le secondera puis reprendra la série –, le livre aborde de multiples facettes d’un créateur attachant.
Par Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault. Ed. Dupuis, 240 p., 39€.
Vertiges
« Le dessin (…) c’est la maîtrise. C’est une structure difficile à acquérir, mais une structure quand même. Il n’y a que la peinture pour capter le mystère de la matière., la chair du monde. » Jean-Marc Rochette se confie à Rebecca Manzoni dans cet ouvrage qui est autant un livre d’images qu’une longue interview sur la vie et l’oeuvre de l’auteur d’Ailefroide. En effet, le texte est sobre et dynamique, interview en tutoiement délibérément légère, dans laquelle Rochette raconte « ses montagnes » et le lien vital qu’il entretient avec elle – sujet de Ailefroide et Le Loup –, mais aussi son départ pour l’Allemagne, son rapport à la peinture. Avant de revenir sur l’expérience Transperceneige, première et seconde époques. Et entre ces mots, des pleines pages de planches, de travaux préparatoires, de « portraits de montagne », de peintures de nus ou de trains fantomatiques. Une oeuvre dessinée et picturale magnifiée par le grand format vertical et l’impression soignée. Un très beau livre qui devrait parler à la fois aux amoureux de la montagne et aux fans de la première heure de Rochette, qui pourront apprécier l’énergie créatrice d’un auteur qui n’a finalement explosé qu’à 50 ans passés.
Par Jean-Marc Rochette, avec Rebecca Manzoni. Daniel Maghen, 180 p., 39 €.
Les Grands maîtres de la bande dessinée mondiale
Après Les 100 plus belles planches de la bande dessinée ou Les Secrets des chefs d’oeuvre de la BD, Vincent Bernière propose une nouvelle anthologie autour de figures incontournables du 9e art. De Shinichi Abe à Bill Waterson, en passant par Daniel Clowes, André Franquin, Jean Giraud ou Naoki Urasawa, ce sont 75 auteurs (dont seulement 3 femmes, Claire Bretécher, Emil Ferris et Marjane Satrapi..) qui sont mis en lumière, avec un texte en forme de portrait biographique et une planche en vis-à-vis. Bonus non négligeable pour certains d’entre eux (Bilal, Tezuka, McCay…) : une histoire courte. Voilà donc un ouvrage qui pourrait servir de guide, de base de recherche éclectique pour tous ceux qui décideraient de s’intéresser (enfin!) à cet art longtemps moqué et décrédibilisé, mais qui semble enfin s’asseoir à la table des grands. Petite déception toutefois : la qualité du papier, trop fin, et de l’impression, manquant cruellement de luminosité et de contraste.
Sous la direction de Vincent Bernière. Beaux-Arts éditions, 240 p., 34,50 €.
Breccia + Dionnet
Pour finir, on ne peut que conseiller à l’amateur d’analyse et d’anecdotes autour de l’Histoire de la bande dessinée de se faire offrir Mes moires de Jean-Pierre Dionnet et Breccia, conversations avec Juan Sasturain.
Dans Mes moires, sous-titré Un pont sur les étoiles, Jean-Pierre Dionnet, avec l’aide de Christophe Quillien, raconte sa vie à la première personne, ou plutôt ses vies, lui qui fut libraire, dynamiteur de la BD avec Métal Hurlant, défenseur des films de séries Z et autres cultures populaires trop longtemps méprisées. Une autobiographie presque sans images, rock et folklorique, comme un carnet de voyages, réels ou imaginaires, autour du destin hors norme d’un homme qui a travaillé aux côtés des plus grands (Hors Collection, 420 p., 19 €)
Comme son titre l’indique, Breccia, conversations avec Juan Sasturain est un livre d’entretiens, issus d’une douzaine d’heures de discussions à l’été 1987 et qui devait servir à Juan Sasturain à écrire une livre sur Alberto Breccia. Ouvrage qui ne verra jamais le jour, mais que le présent volume remplace plutôt pas mal. On découvre ainsi, au fil d’un texte retranscrivant les échanges dans leur oralité, illustré de photos, dessins et planches, la jeunesse et la carrière de l’auteur argentin (1919-1993), honoré lors du dernier Pulp Festival. De nombreuses notes aident à saisir le contexte politique, social et culturel de son pays, et une chronologie de l’oeuvre à jeter un regard précis sur l’évolution de son travail, au fil de plus de 50 ans de carrière (Rackham, 460 p., 30 €).
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