Beaux livres pour Noël : Le Canon graphique
Un projet un peu fou pour un ouvrage massif : voici Le Canon graphique !
Le Canon graphique est un ambitieux projet mené par l’anthologiste Russ Kick : créer une trilogie d’épais volumes adaptant en bande dessinée les œuvres majeures de la littérature mondiale des origines au XXe siècle. Un projet trop ambitieux diront certains, mais on n’est jamais trop ambitieux, et si ce premier volume n’est pas exempt de défauts, il reste un coup de force qu’il faut saluer.
Cinq-cent pages, plus de cinquante auteurs, autant d’œuvres adaptées et une volonté claire de rendre accessibles des textes majeurs, et de donner à connaître ceux que l’on connaît moins. Du point de vue pédagogique, le but est atteint : chaque adaptation (généralement un extrait choisi pour sa représentativité) est précédée d’un texte bref de Russ Kick qui replace l’œuvre dans son contexte, la résume et précise les éditions de référence du texte original. Seules les éditions américaines sont concernées, certes, mais celui qui veut poursuivre sa découverte dispose là des armes pour le faire.
Pour mener son projet à bien, Kick s’est appuyé sur des adaptations déjà réalisées – menant ici son habituel travail d’auteur d’anthologies – mais a aussi commandé de nombreuses transpositions inédites, en cherchant parmi les auteurs contemporains les plus intéressants à ses yeux.
Dans le premier cas, on trouvera le Don Quichotte d’Eisner, Boswell par Crumb (déjà lu dans Nausea) ou L’Enfer de Dante par Hunt Emerson (même si la version intégrale n’est pas encore parue – image ci-contre). Dans le second, une majorité de jeunes auteurs encore peu connus. Mais aussi la pionnière de l’underground féminin Sharon Rudahl (découverte en France dans le beau Working) qui adapte des poèmes Tao, ou Peter Kuper, qui traite de Swift avec un plaisir évident.
Au-delà de ces noms connus, de nombreux jeunes auteurs tirent leurs épingles du jeu. Andrice Arp réalise une adaptation intelligente d’un conte des Mille et une Nuits jouant sur les histoires à tiroirs. Le très graphique Dave Morice accompagne avec grâce un poème de George Peele. Isabel Greenberg (La Légende de la cape céleste) et Robert Berry (Sonnet 18 de Shakespeare), chacun à sa manière joue avec les couleurs pour habiter le texte.
L’adaptation lyrique et réellement inventive du Paradis perdu par Rebecca Hart (jamais les anges n’avaient été ainsi dessinés), le travail à la fois fidèle et décalé du minimaliste Seymour Chwast (Le Paradis et Les Contes de Canterbury), le trait naïf et coloré d’Edie Fake (Visions de Sainte Thérèse d’Avila, image ci-dessous) sont autant de réussites. Il y en a d’autres bien sûr, mais ce sont les plus marquantes, d’autant que leurs approches sont radicalement différentes, mais qu’elles se mêlent bien.
Ce n’est malheureusement pas le cas de tous les auteurs : une bonne dizaine d’entre eux ne sont franchement pas au niveau. Du kitsch gothique des illustrations signées Alex Eckman-Lawn (Pardonnez-nous nos offenses, d’Aphra Behn) à la laide et longue adaptation du Beowulf par Gareth Hinds (qui réalise pourtant une version de L’Odyssée tout à fait agréable), en passant par les planches maladroites mais se voulant artistiques d’Eric Johnson et Michael Stanyer (La Reine des fées) jusqu’au mauvais recopiage de mangas de Maxx Kelly (qui massacre Le Songe d’une nuit d’été, voir image tout en bas), c’est une centaine de pages qui ne devraient malheureusement pas figurer ici…
Là où les introductions et la maquette permettent de faire se côtoyer des récits très différents en leur gardant une cohérence, permettant à l’adaptation humoristique de La Pérégrination vers l’Ouest (visuel ci-dessous) par Conor Hughes de trouver sa place à côté d’un Mahâbhârata jouant avec la forme de la bande dessinée par Matt Wiegle, les mauvais récits gâchent un ensemble pourtant globalement solide. On sent que tout à sa tâche d’agglomération, Russ Kick n’a pas pu faire de choix nets afin de ne pas éliminer un texte important dans son sommaire : la qualité de la bande dessinée s’en ressent.
Autre défaut : Le Canon graphique a l’ambition d’une adaptation de la littérature mondiale, mais on en est loin. Si l’on trouve en effet des récits orientaux et quelques textes européens, c’est bien une anthologie de la littérature anglophone qui est présentée, agrémentée de quelques textes antiques et d’incontournables venus d’Asie. On verra donc Aristophane et Euripide, mais pas Plaute ou Sophocle, Platon et Lucrèce mais ni Aristote ni Epicure. La France n’est représentée que par Voltaire, Villon, Laclos et les Lettres d’Héloïse et Abélard, et aucune mention n’est faite de noms aussi importants que Chrétien de Troyes, Montesquieu ou Diderot…
La lecture du Canon graphique laisse donc un sentiment mitigé, mais avec un a priori positif. Aucun collectif ne satisfait jamais pleinement le lecteur et aucune anthologie n’est exempte de lacunes. Il faut simplement aborder ce massif ouvrage pour ce qu’il est, avec les réserves évoquées en tête et en n’hésitant pas à sauter les passages qui ne nous plaisent pas (mais en lisant la notice, toujours passionnante !). Ainsi, le lecteur profitera d’une somme unique en son genre, faisant souvent œuvre de vulgarisation intelligente et qui lui permettra de découvrir nombre de textes souvent méconnus et pourtant majeurs outre-Manche.
Maël Rannou
Plus d’infos sur le site dédié et la page Facebook.
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Le Canon Graphique #1 – de l’Épopée de Gilgamesh aux Liaisons dangereuses
Sous la direction de Russ Kick.
Télémaque, 39 €, novembre 2012.
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Ce bouquin est une bonne grosse daube réalisée par de mauvais amateurs qui se la jouent grave sans en avoir aucunement les moyens. A fuir!
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Je ne suis pas totalement en accord, le directeur de publication est un anthologiste reconnu et ses présentations sont en effet très claires, mais il semble beaucoup moins pointu en bande dessinée, ce qui est un gros problème. Ainsi il semble juste avoir envie de « mettre en image pour vulgariser », ce qui est le pire dans l’adaptation.
La majeure partie des auteurs sont talentueux et s’en sortent bien mais une bonne centaine de pages sont vraiment mauvaises, et au moins autant ne sont ni géniales ni mauvaises. En gros il y a près de 50% de l’ouvrage qui est de très bonne qualité, un quart qui se lit bien, un quart à jeter. J’ai toujours tendance à voir le verre à moitié plein cependant, et ai découverts certains textes et auteurs avec grand plaisir (mais c’est sur que l’ambition affichée n’est pas atteinte, et que l’on peut être déçu si on lit le livre à cette aune).
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Si on lit le livre à cette aune, pas aulne qui est un arbre, ça n’a rien à voir.
39 € pour cette daube c’est vraiment du foutage de tronche, même vous qui en faites la pub n’arrivez pas à le défendre. -
Parler de publicité pour un article jugé trop négatif par l’éditeur (qui n’en fait pas la promotion sur sa page facebook) me semble un peu excessif. Je crois ne pas avoir caché mes réticences à certaines adaptations, ni mon enthousiasme face à d’autres. Je ne vous demande pas d’être d’accord mais d’être de bonne foi, parler d’article promotionnel pour cette article c’est ne pas l’avoir lu. Je ne cherche ni à faire de la publicité ni à faire de la promotion, mais à donner un avis critique, appuyé sur une lecture sérieuse et argumenté, en effet.
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