La simple évocation du nom de Gotlib pourrait bien raviver chez nombre de lecteurs le souvenir des plus furieux fous rires s’étant jamais déclarés à la lecture d’un album. Comment, en effet, rester de marbre face au génie comique se manifestant dans chacune des pages de ses Rubriques-à-brac, Rhââ Lovely et autres Gai-Luron ? C’est loin d’être évident, quand chaque élément graphique et typographique a pour vocation à chatouiller le lecteur, jusqu’à libérer chez lui un éclat de rire salvateur. D’ailleurs quand on y pense, lire Gotlib a sans doute quelque chose à voir avec la jouissance…

Après le festival Quai des Bulles, en 2013, et jusqu’au 27 juillet, c’est au tour du Musée d’art et d’histoire du judaïsme de lui consacrer une exposition de grande envergure. La plus importante depuis 1992, dit-on, présentant quelque 150 planches issues de la collection personnelle de ce maître de l’humour, et de nombreux documents photographiques, audio et vidéo permettant de retracer son parcours.

La première salle, sombre, est loin d’être la plus réjouissante : l’on y apprend notamment que son père, immigré juif de langue hongroise, a été déporté et assassiné à Buchenwald en 1945. On retrouvera d’ailleurs des allusions à cet épisode tragique dans quelques-unes de ses histoires, comme La Chanson aigre-douce, où il se représente enfant, caché dans une étable aux côtés d’une chèvre, ou celle mettant en scène le dernier survivant du « peuple des rats », racontant l’éradication organisée de ses semblables, quelques années avant la parution de Maus, d’ailleurs. L’humour comme rempart, « politesse du désespoir »? Très certainement.

Quoi qu’il en soit, le reste de l’exposition adopte un ton foncièrement différent – c’est-à-dire celui qu’aura choisi le dessinateur, et qu’il n’aura de cesse d’affirmer au cours de sa carrière : on y retrace le parcours de Marcel Gotlieb (de son vrai nom), de ses débuts dans l’illustration pour enfants à ses chefs-d’œuvres les plus délirants, en passant par ses premières planches – dont certaines assez moyennes – publiées dans les pages de Vaillant (qui deviendra Pif Gadget), sa rencontre avec Goscinny (qui aboutira aux Dingodossiers, parus au sein de Pilote), le lancement de L’Écho des savanes (avec Brétécher et Mandryka aux manettes), l’ère Fluide glacial…

Ah, quel plaisir de retrouver ces personnages hilarants que sont Gai-Luron, le professeur Burp, le duo Bougret-Charolles, Isaac Newton, Superdupont, Pervers Pépère, j’en passe et des moins tristes… sans parler des pastiches, allant du Petit Prince à l’univers de Philippe Druillet, où Gotlib se révéla tout particulièrement excellent ! Et quel étonnement de voir le soin extrême apporté à chacune des planches, sur lesquelles n’est plus visible le moindre crayonné, et où les traces de correcteur se font quasi-inexistantes… Quel soulagement, enfin, de voir les spectateurs pouffer devant chacune des planches exposées, montrant par là-même que l’œuvre de celui qui fêtera bientôt ses 80 printemps n’a rien perdu de sa force, ni de son actualité.

Un petit conseil, pour finir : que les fanatiques invétérés qui souhaiteraient se rendre à cette exposition prévoient bien deux heures et demie pour en faire le tour, sachant que le musée ferme ses portes à 18h. A noter, aussi, la parution d’un très complet hors-série de Fluide glacial/Pilote, co-édité par Dargaud, et que l’on ne saurait que conseiller !

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Les Mondes de Gotlib.

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme. Hôtel de Saint-Aignan, 71, rue du Temple, Paris 3.

Jusqu’au 27 juillet 2014. Lundi, mardi, jeudi, vendredi, 11h-18h; mercredi 11h-21h; dimanche 10h-18h. Fermé le samedi.

Tarifs: 4,50€-7€.

Images © Gotlib – Photos © Pierre Gris pour BoDoï

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