Bill Plympton, l’animation 100% fait main
Quand on rencontre l’Américain Bill Plympton à Paris, c’est un grand garçon de 62 ans avec un polo rouge qui nous invite à nous caler dans un vieux sofa, tandis qu’il s’empresse de montrer ses originaux de Des idiots et des anges, son nouveau long-métrage animé. Un conte moral et caustique, à propos d’un homme méchant qui se voit pousser des ailes dans le dos : une série de plumes qui lui montrera, si ce n’est les routes du paradis, du moins le bon chemin… Chaussant ses lunettes auxquelles il manque un verre, Bill Plympton décrit avec un enthousiasme de jeune homme son travail « entièrement au crayon sur papier ! », qui fait de lui une figure à part dans le monde de l’animation. Ce qui constituait une bonne raison de l’interviewer.
D’où vient l’idée de votre film Des idiots et des anges ?
Il y a trois ans, je participais à un festival à Lille. Je marchais vers mon hôtel et un des organisateurs de la manifestation qui m’accompagnait m’a demandé quel serait mon prochain projet (je venais de finir Hair High). Je n’y avais pas vraiment réfléchi mais j’avais une petite idée qui me trottait dans la tête : ce serait l’histoire d’un sale type qui se réveillerait avec des ailes dans le dos. Mon jeune interlocuteur a été emballé, et ce soir-là je n’ai pas arrêté d’y penser. Je n’ai pas pu dormir et j’ai tout de suite commencé à noter des idées et à dessiner.
Hair High, votre précédent film, a été très coûteux et très lourd à porter, et il n’a pas rencontré un grand succès. Comment se remettre en selle après ce relatif échec ?
J’ai effectivement dépensé beaucoup d’argent sur Hair High, dans la musique, les acteurs pour les voix et l’équipe de coloristes. Et j’ai dû distribuer le film moi-même. J’étais très en colère et me suis dit que mon prochain long-métrage serait beaucoup plus modeste, facile et rapide à réaliser. Je me fichais du public, je voulais le faire pour moi ! Une fois achevé, je l’ai présenté au Festival du film de TriBeCa à New York et les gens ont adoré ! Je ne m’attendais pas à un tel accueil. Pour la première fois de ma carrière, des vieilles dames sont venues me féliciter ! Je pense que c’est l’aspect psychologique de l’histoire qui les a séduites…
Vous mettez en scène un sale type qui se voit pousser des ailes d’ange, ailes qui vont le doter de pouvoirs extraordinaires et le transformer en un homme bon. Est-ce votre réponse à la mode des films de super-héros ?
Non, je ne crois pas. Le pouvoir de voler est un sujet récurrent dans le cinéma d’animation, comme dans Dumbo ou Peter Pan. Mais je pense surtout que tout le monde a des ailes invisibles dans le dos, qui ne demandent qu’à être découvertes. Il ne s’agit pas de devenir un super-héros, mais simplement quelqu’un de bien. Il faut s’envoler loin de l’idiotie ambiante !
Avez-vous encore fait tous les dessins et l’animation vous-même?
Oui. Car cela coûte moins cher et, croyez-le ou non, c’est beaucoup plus rapide. Et le plus important, c’est que j’aime dessiner avec un crayon. Mais je ne suis pas le seul à travailler à la main : regardez Nick Park (Wallace & Gromit), Hayao Miyazaki ou Henry Selick (L’Étrange Noël de Mr Jack).
Comme souvent, vous vous passez de dialogues…
Je dois l’avouer, je n’écris pas bien. De plus, faire un film muet permet de l’exporter plus facilement à l’étranger, car tout le monde est en mesure de le comprendre. Enfin, les mouvements des lèvres des personnages sont très longs et fastidieux à faire et donc très coûteux.
En revanche, la bande-son est riche de morceaux de Tom Waits ou Pink Martini…
Je connais Thomas Lauderdale, un des membres de Pink Martini, depuis longtemps. J’adore sa musique et c’est naturellement que j’ai pensé à ce groupe. Je n’ai jamais rencontré Tom Waits, mais comme une grande partie du film se déroule dans un bar, il me fallait mettre ses chansons, qui collent si bien avec cette ambiance ! Je suis passé par l’intermédiaire du cinéaste Jim Jarmusch [il a notamment tourné Down by law avec Tom Waits], qui a transmis un extrait de mon film au musicien. Puis j’ai reçu un email de son épouse : « Tom aime beaucoup votre travail, vous pouvez choisir les chansons que vous voulez ! » Je tiens à citer également les musiciens Nicole Renaud et Didier Carmier, qui sont une grande source d’inspiration pour moi.
Vos personnages ont tous un physique bien marqué (fines jambes, gros nez…). Où trouvez-vous l’inspiration ?
Je dessine beaucoup dans les lieux publics, dans le métro. Je fais des croquis des gens que j’observe. C’est tout le plaisir du dessinateur : quand vous dessinez les gens, vous avez l’impression de posséder un pouvoir, d’avoir le contrôle sur eux. Et ça peut aider avec les filles !
Vos films sont marqués par un mélange audacieux de violence souvent crue et d’humour. Comment parvenir à un équilibre ?
La violence fait partie de l’humour ! Je rends la violence très absurde, surréaliste. L’humour est une des meilleures façons de provoquer les gens, de leur faire prendre conscience du monde autour d’eux. Je pense qu’il faudrait instituer un prix Nobel de l’humour !
Quelles sont les qualités nécessaires à bon créateur de dessin animé ?
En premier lieu, il faut simplement aimer l’animation, car on ne fait ça ni pour l’argent, ni pour la gloire. Ensuite, il faut être un bon dessinateur et prendre du plaisir à dessiner ; trop d’animateurs se reposent sur leur ordinateur et ne savent pas vraiment dessiner. Je conseille d’ailleurs de ne jamais sortir sans un carnet de croquis… Enfin, je pense qu’il faut être un bon businessman : je connais trop d’artistes talentueux qui n’ont jamais réussi à faire ce qu’ils voulaient à cause d’une mauvaise gestion de leur carrière.
Et vos conseils aux jeunes artistes qui seraient tenté par l’animation ?
C’est ce que j’appelle le « Dogme Plympton ».
1. Faire court, car un film excédant 5 minutes sera difficile à vendre.
2. Faire bon marché, au maximum 1000 $ la minute. Au-delà, le film deviendra difficile à rentabiliser.
3. Faire drôle, car personne ne veut de sujets trop intellectuels ou politiques.
Vous êtes un des pionniers du film d’animation pour adultes. Voyez-vous ce domaine évoluer dans le bon sens ?
Oui, de plus en plus de jeunes artistes – qui se réclament de moi ! – songent à monter leur propre film d’animation, en totale liberté. On doit cette ouverture à mes films, bien sûr, mais aussi à Persepolis, Les Triplettes de Belleville ou Valse avec Bachir, qui ont montré qu’on pouvait faire d’excellents films d’animation qui ne seraient pas réservés aux enfants. Et avec un budget bien inférieur aux grosse productions Disney ou Pixar !
Seriez-vous tenté de travailler une fois pour un de ces studios ?
Si on me le proposait, bien sûr ! Je suis jaloux que leurs films soient vus par des millions de personnes dans des milliers de cinémas, alors que les miens doivent se contenter que de quelques centaines de salles… Mais ce que je fais aujourd’hui, c’est-à-dire un long-métrage tous les deux ou trois ans, et des courts-métrages entretemps, est tout ce dont j’ai jamais rêvé. J’aimerais simplement être un peu mieux reconnu dans mon pays…
Quel est votre prochain projet ?
Ce sera une histoire de jalousie, dans le même style graphique que Des idiots et des anges. Il sera plus ou moins inspiré par le film Le Facteur sonne toujours deux fois. Drôle, sombre, sexuel et assez violent !
Propos recueillis et traduits par Benjamin Roure
Des idiots et des anges, par Bill Plympton.
1h18. Sortie le 14 janvier 2009, en partenariat avec BoDoï. Voir la bande-annonce ici.
Plus d’infos sur le site du film et le site de Bill Plympton.
Bill Plympton sera le jeudi 8 janvier 2009, dès 18h, au vernissage de l’exposition qui lui est consacrée à la galerie Chappe (4 rue André Barsacq, Paris 18e). Et il sera à Montreuil le vendredi 9 janvier, à 20h45, au cinéma Méliès (Centre Commercial Croix de Chavaux), pour l’avant-première de son film.
Images © Bill Plympton et Ed Distribution
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