Blast: l’album choc de Manu Larcenet
Voilà une des plus grosses claques de l’année BD. Blast, le nouvel album de Manu Larcenet, va surprendre les fans de l’auteur et surtout ne laissera personne indifférent. C’est l’histoire d’un gros type qui vit un choc mental d’une rare puissance, et décide de tout plaquer. Pour aller sur l’Île de Pâques. Mais c’est aussi l’histoire d’un criminel interrogé par des policiers qui veulent comprendre les raisons de son acte. Dans un magnifique noir et blanc tout en nuances et en textures, Manu Larcenet explore les marges, la nature sauvage, la folie et la perte des repères. Ce livre de 200 pages, premier d’une série qui devrait en compter cinq, est une bande dessinée humaine, sombre et inconfortable, qui fascine et remue à la fois. À 40 ans, Manu Larcenet affronte ses angoisses et ses obsessions. Il produit sans doute son plus bel ouvrage.
D’où vient l’idée de Blast ?
Elle est assez ancienne, puisque je devais avoir 15 ans quand j’ai imaginé pour la première fois raconter la vie d’un type qu’on découvrirait en prison. Je pensais alors qu’on pourrait revenir sur les événements l’ayant mené jusque-là. Mais je n’étais pas vraiment allé plus loin. En fait, je voulais surtout trouver un personnage sur lequel plaquer toutes mes obsessions, sans nécessairement faire de psychanalyse.
Et vous avez opté pour la garde à vue…
La garde à vue est un bon prétexte narratif. Mon personnage est là, face à des flics qui vont être obligés de l’écouter raconter son histoire. Et le lecteur va se retrouver à leurs côtés, à tenter de faire le tri entre les faits et les délires hallucinatoires du bonhomme. Pour mettre cette idée en scène, j’avais le choix entre plusieurs possibilités. La psychanalyse d’abord, que j’avais déjà un peu exploité dans Le Combat ordinaire. L’hôpital aurait aussi pu fonctionner, mais je ne voulais pas que l’on prenne mon personnage pour un fou. Je souhaitais qu’il ait l’air plus dangereux que malade.
Êtes-vous fasciné par les faits divers ?
Pas vraiment, plutôt par les histoires personnelles de ces gens qui ont un jour commis quelque chose de grave. On ne peut résumer la vie d’un individu à un ou deux faits. Le plus souvent, les criminels marginaux ont une histoire, qui ne justifie en rien ce qu’ils ont pu faire, mais qui peut expliquer comment ils ont pu arriver à commettre le pire. J’aime bien l’émission télé « Faites entrer l’accusé », car on y raconte ce genre d’histoires. Je me souviens bien de celle consacrée à Louis Poirson [violeur et tueur multi-récidiviste, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 2002, ndlr], et surtout d’une scène d’interrogatoire dans les locaux de la police, où il était filmé de dos. Cette séquence impressionnante m’a inspiré pour Blast.
Pourquoi faire de votre personnage Mancini un obèse ?
J’ai toujours été en surpoids, et l’obésité est une véritable obsession pour moi. Il m’est très difficile d’en parler… J’ai côtoyé de vrais obèses et je sais que cette difformité devient souvent une douleur mentale permanente. Tu es alors réduit à néant et tu ne trouves pas de pitié dans le regard des autres, parce que tout le monde est persuadé qu’il ne tient qu’à toi de faire un régime ou de l’exercice. Et je ne peux pas croire une seconde ces gens qui se disent heureux d’être obèses, c’est impossible ! Après, faire de Mancini un gros avait aussi un sens dans son parcours: je voulais qu’il avance lentement.
Qu’est-ce que le « blast », qui donne son nom à la série ?
C’est assez compliqué à expliquer, mais je pense que chacun a pu en vivre un, sans forcément en faire toute une histoire… Ca m’est arrivé une fois: après avoir fait un malaise, j’ai ressenti une immense sensation de bonheur. Certains ont un « blast » avec la drogue ou l’alcool. C’est un moment où on sort de ce que l’on est. Mon personnage le vit après la mort de son père et se libère ainsi. Il cherche alors à revivre ce moment…
C’est alors qu’il devient marginal…
Tout le monde est mort autour de lui. Sa mère, son frère, et maintenant son père. Il y a bien son épouse, mais finalement, elle ne compte pas tant que ça. Il aurait pu continuer à mener sa petite existence ennuyeuse, mais le « blast » l’a libéré de tout. Il ne connaît pas la modération: quand il boit, c’est jusqu’à tomber. Et quand il décide de tout quitter, il part vivre dans une forme de sauvagerie. Il explore le déséquilibre.
Il va rencontrer dans la forêt d’autres personnes vivant à la marge. D’où viennent ces « mange-misère » comme ils se baptisent ?
D’un souvenir. Quand j’étais ado, avec des copains, nous allions régulièrement vers Vélizy, dans une parcelle en régénération, une zone où la nature reprend ses droits, où tout pousse en désordre. Une fois, nous sommes tombés sur cinq ou six maisons en tôle, perdues au fond des bois. Nous les avons visitées, bien entendu, et découvert que des gens devaient y vivre. Nous avons attendu et finalement vu débarquer des travailleurs tchèques, des saisonniers qui s’étaient installés là. Cette ville en carton à côté de la ville en béton m’avait sidéré. D’autant qu’à l’époque, on ne parlait pas encore de travailleurs pauvres. C’était une image fascinante poétiquement, mais affreuse socialement. Dans Blast, les « mange-misère » ne vivent toutefois pas vraiment à la marge, car ils recréent une société: ils reconstruisent ce qu’ils ont rejeté.
Est-il encore possible de vivre complètement en marge ?
Je pense que, d’une certaine manière, c’est devenu un mythe. Il n’est déjà plus vraiment possible de s’exclure totalement de la société de consommation: l’être humain n’est plus capable de s’alimenter sans magasins ! Quand j’étais jeune, mon père me montrait des clochards, qui vivaient sous des ronciers, dans le creux des talus, mais avaient choisi de vivre ainsi. D’ailleurs, il craignait que ce mode de vie marginal ne me tente… Aujourd’hui, les SDF n’ont pas choisi de ne pas avoir de toit. Pareil pour les voyous: avant, on pouvait choisir de le devenir; aujourd’hui, on devient voyou par mimétisme, pour faire comme les autres…
Pourquoi avoir choisi le noir et blanc ?
Il s’agit en quelque sorte d’un retour aux sources, car j’ai commencé ainsi à Fluide Glacial. Quand les techniques informatiques de colorisation se sont développées, j’ai trouvé ça génial alors je me suis engouffré dedans. J’ai simplifié mon trait pour pouvoir utiliser de beaux aplats de couleurs. Mais comme je n’ai jamais été très doué, je demandais à d’autres de mettre en couleurs mes albums. Et j’ai parfois été déçu, car ce n’était pas exactement ce que j’imaginais… Pour Blast, j’ai d’abord travaillé en noir et blanc au lavis, en pensant qu’il y aurait ensuite une mise en couleurs. Mais quand j’ai montré les planches à mon éditeur, il m’a suggéré de les laisser telles quelles. Ce n’est pas si souvent qu’un éditeur préfère le noir et blanc à la couleur, alors je ne pouvais pas laisser passer cette opportunité !
Blast est un livre très différent de ce que vous avez fait avant. Est-ce un tournant dans votre carrière ?
C’est vrai qu’il est très noir. C’est peut-être la crise de la quarantaine ! Je ne sais pas si c’est un tournant, mais c’est une évolution nécessaire pour moi et c’était le bon moment pour le faire. Je ne veux pas pas tricher, me renier ou reproduire ce que j’ai déjà réalisé. Dans la série Blast, je souhaite mettre tous les ingrédients que j’ai toujours voulu faire figurer dans un livre. Je crois que c’est mon chef d’oeuvre, il faut que j’y aille à fond, que j’en sois le plus fier possible. Je souhaite en faire cinq tomes, et j’espère que le public me suivra. Finalement, c’est apaisant d’avoir un sujet pour les prochaines années…
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Blast #1 – Grasse Carcasse.
Par Manu Larcenet.
Dargaud, 22 €, le 6 novembre 2009.
Achetez Blast #1 sur Amazon.fr
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Quelle claque !!!
Beaucoup de sentiments rarement suscités chez moi lors de la lecture d’une bande dessinée. Le dessin est sublime, le personnage attachant, les textes soignés. Ca me rappelle (étrangement) du Taniguchi par moments …
Et puis ce noir et blanc … mystique !Vraiment, l’ouvrage incontournable … mais vraiment quoi …
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Quelle claque !!!
Beaucoup de sentiments rarement suscités chez moi lors de la lecture d’une bande dessinée. Le dessin est sublime, le personnage attachant, les textes soignés. Ca me rappelle (étrangement) du Taniguchi par moments …
Et puis ce noir et blanc … mystique !Vraiment, l’ouvrage incontournable … mais vraiment quoi …
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la derniere image est tellement intense…
ces tronc, ces feuilles, et au milieu, ce gros bonhomme.
J’ai hate de le lire…
Bravo ! -
la derniere image est tellement intense…
ces tronc, ces feuilles, et au milieu, ce gros bonhomme.
J’ai hate de le lire…
Bravo ! -
vu ce gros pavé en librairie. Cela semble etre un projet ambitieux,mais pas trés gai. Merite le coup d’oeil en tout cas…
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vu ce gros pavé en librairie. Cela semble etre un projet ambitieux,mais pas trés gai. Merite le coup d’oeil en tout cas…
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Le regard accroché par cet album à la couverture inhabituelle, curiosité aiguisée par l’avis d’un vendeur décontenancé par BLAST, qui ne savait pas quoi en penser : « Euh…c’est bien…mais… euh…c’est un peu noir… ».
J’ai acheté rapidement après avoir feuilleté rapidement.J’ai bien fait. J’attends la suite, s’il le veut bien.
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Le regard accroché par cet album à la couverture inhabituelle, curiosité aiguisée par l’avis d’un vendeur décontenancé par BLAST, qui ne savait pas quoi en penser : « Euh…c’est bien…mais… euh…c’est un peu noir… ».
J’ai acheté rapidement après avoir feuilleté rapidement.J’ai bien fait. J’attends la suite, s’il le veut bien.
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un très bon album, selon moi le meilleur de Larcenet. L’idée du « blast » n’est par contre pas issue de Manu Larcenter, elle est très largement inspirée de Philip K Dick, j’aurai aimé le voir cité dans cet entrevue
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un très bon album, selon moi le meilleur de Larcenet. L’idée du « blast » n’est par contre pas issue de Manu Larcenter, elle est très largement inspirée de Philip K Dick, j’aurai aimé le voir cité dans cet entrevue
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c’est vrai ça? A quand la suite monsieur Larcenet? Je croyais que c’etait annuel, et là rien ne vient!!
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c’est vrai ça? A quand la suite monsieur Larcenet? Je croyais que c’etait annuel, et là rien ne vient!!
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Il faut du temps pour pondre 200 pages d’encre de chine et lavis. Pour info larcenet a terminé le tome 2 qui devrait sortir en avril 2011.
En tout cas hate de le lire, j espere etre toujours autant secoué comme je l’ai été par le tome 1 -
Il faut du temps pour pondre 200 pages d’encre de chine et lavis. Pour info larcenet a terminé le tome 2 qui devrait sortir en avril 2011.
En tout cas hate de le lire, j espere etre toujours autant secoué comme je l’ai été par le tome 1
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