Blexbolex, sérigraphe dans l'âme
On l’a longuement rencontré à l’occasion du festival BD à Bastia, dont il était cette année l’invité d’honneur. Bernard Granger, mieux connu sous le nom de Blexbolex, est l’auteur notamment des bandes dessinées L’Oeil privé, Destination Abécédéria, mais aussi de L’Imagier des gens – pour lequel il a reçu le prix du plus beau livre du monde à la Foire du livre de Leipzig en 2009 – et Saisons. À 44 ans, ce gros fumeur aux lunettes rondes cerclées de métal poursuit une œuvre captivante de sérigraphe, questionnant l’image, les couleurs, et laissant le lecteur fouiller et interpréter librement ce qu’il lui propose.
D’où vient votre goût pour les imagiers ?
Habituellement, l’imagier est très tarte à la crème. Peu d’illustrateurs se livrent de gaieté de cœur à cet exercice de style. Cela s’adresse aux tout petits, il faut des dessins jolis, accessibles, et finalement très ennuyeux : des salades, des voitures… C’est le B.A.-BA. De plus, on part du principe qu’un mot désigne une image et qu’une image représente un mot, comme si c’était évident. Or ce système est fermé et faussé : il prétend à une objectivité, qui est le fait d’une abstraction du langage. Par exemple, l’image d’une tomate ne correspond pas à tout ce que désigne le mot, et le mot ne donne aucune indication sur la texture, l’apparence ou le goût de ce fruit. Il y a une sorte d’impuissance mutuelle à se compléter tout en donnant l’illusion d’un paradigme.
Comment avez-vous joué avec ce rapport particulier ?
Couplée au mot, l’image pouvait me servir à dire autre chose, à rentrer dans une narration. J’ai tenté d’utiliser la dynamique de ce système mot-image pour l’amener sur un terrain plus sensible, affectif, de donner place au doute. Mon but n’était pas de faire un simple livre d’artiste, esthétisant, mais d’y glisser un propos, des messages souterrains que le lecteur actif peut découvrir ou inventer. Je donne des pistes, des indices : je montre un dompteur à l’anneau, une gitane au tambourin, et l’on peut – ou non – les associer et interpréter leur gestuelle similaire.
Pourquoi consacrer un imagier aux gens, puis un autre aux saisons ?
Bille en tête, j’ai proposé le concept du premier ouvrage à Albin Michel, pour me confronter au genre. Je voulais montrer des êtres humains, pas des métiers ou des uniformes. Cela me semblait plus large et vague, plus intéressant. J’ai choisi l’article indéfini pour les qualifier, afin de montrer une diversité sans archétype – quitte à réintroduire plus tard des clichés, qui deviennent du coup un peu plus savoureux. D’abord, j’ai établi un plan, à l’aide d’une liste de mots. Ensuite, j’ai repéré comment ils se connectaient, et j’ai laissé la mélodie se créer.
Comptez-vous réaliser d’autres imagiers?
Ils sont très longs à faire, chacun m’a pris environ un an. J’ai bien d’autres idées, mais je ne souhaite pas me spécialiser dans ce genre. Toutefois, je vais certainement en faire un dernier, Romance, à la limite du récit. Il sera consacré aux histoires, contes, propos rapportés…
Votre style vous paraît-il se rapprocher de la ligne claire ?
Qu’est-ce que la « ligne claire »? Ça sonne comme une formule magique. Elle est apparue vers la fin des années 70 avec d’autres formules tout aussi séduisantes, comme New Wave, Revival, etc… Quelque chose entre un argument marketing et un manifeste, une prise de position esthétique. Entre tradition moderne et renouveau nostalgique, mode et remise en question des codes de la BD et de l’illustration à ce moment-là. Je n’ai vécu cela que de très loin, et cela ne m’a jamais vraiment passionné. Hergé lui-même ne comprenait pas vraiment ce que ça voulait dire : la clarté de son trait était en partie due à des contraintes d’impression, elle-mêmes dues à la technologie de l’époque, qui forçaient à la lisibilité. Après, j’imagine que son activité de graphiste publicitaire lui a indiqué la direction à suivre.
Vous aussi cherchez pourtant une grande lisibilité…
Oui, je me donne certaines contraintes, dont celle-ci, car sinon je suis perdu ! Je n’utilise pas le trait – qui nécessite d’être encré, doublé… – car je ne veux pas faire deux fois la même chose. À la gouache ou avec Photoshop, je travaille à l’intérieur d’une masse de peinture ou de pixels. À mes débuts, j’avais un trait nerveux, inspiré par l’underground américain. Mais, en imprimant mes ouvrages moi-même, je me suis rendu compte qu’il était compliqué d’obtenir un rendu net. J’ai donc adapté mon dessin à la technique, en simplifiant les formes. Aujourd’hui, la sérigraphie, ou la séparation des couleurs en tons directs m’évitent la cacophonie des couleurs : je pense à l’avance la surimpression, j’imagine des formes simplifiées. Il n’y a pas d’idéologie particulière derrière cette démarche.
Comment êtes-vous venu au dessin ?
Mon père, professeur d’allemand, dessinait pour faire plaisir à ses enfants. Le matin, il nous laissait sur la table de la cuisine des petits Mickeys ou Tintin, réalisés au marqueur noir. Pour lui rendre la pareille, je décalquais des héros de BD dans des magazines. Le dessin m’isolait des autres, m’apportait la paix. Un instituteur m’a encouragé à continuer. Et, dans les années 70, j’ai vu Fred à la télé, qui faisait surgir des petits personnages de sa poche. Cela m’a semblé magique, et a créé un déclic en moi. Je me suis essayé à la bande dessinée. Mais j’ai rapidement compris que le processus était laborieux, voire pénible pour moi. En tout cas pas assez immédiat pour me satisfaire, pour me bluffer moi-même.
Vous avez ensuite suivi des études d’art.
Oui, je me suis inscrit aux Beaux-Arts d’Angoulême, mais n’ai pu intégrer le département BD : un prof a trouvé que ma manière de dessiner les vêtements n’était pas parfaite… En visitant l’atelier de BD, je suis tombé sur les dessins de Nicolas De Crécy, qui fréquentait l’école à l’époque, c’était tellement brillant, que je me suis dit : « OK, n’insiste pas ! » Alors j’ai intégré l’atelier gravure. J’ai découvert la sérigraphie, et ai compris que j’avais besoin de couleurs saturées, qui explosent. Ma scolarité a été chaotique, entrecoupée d’une année de scénographie et décor Rue Blanche [aujourd’hui ENSATT] à Paris, et d’un service militaire à Berlin. Ensuite, j’ai enchaîné des boulots alimentaires. Jusqu’à ce qu’un copain me demande de lui donner un coup de main dans un atelier de sérigraphie. En parallèle, je réalisais mes propres bouquins, avec de petits tirages. En 1996, je suis devenu sérigraphe chez Cornélius. Côtoyer des artistes comme Dupuy et Berberian m’a donné envie de me professionnaliser, de rendre mon travail personnel publiable.
Pourquoi œuvrer sous le nom de Blexbolex ?
Je l’ai utilisé dès mon deuxième livre en 1992. Ce n’est pas vraiment un pseudonyme, plutôt une marque de fabrique, le titre générique de mes productions.
Quels sont vos projets?
En bande dessinée, je travaille depuis deux ans sur Hors-Zone [images ci-dessus et ci-contre], qui devrait paraître en 2011 chez Cornélius, sous le même format que Destination Abécédéria. J’y associe des images et du texte, qui se déconnectent les uns des autres. C’est une autre façon d’explorer la relation complexe qui existe entre le texte et l’image. Cet album relate les dernières secondes de vie d’un personnage qui s’est tiré deux balles dans la tempe suite à un conflit interne : son cerveau à l’agonie lui suggère une série de visions et de récits pour se convaincre lui-même qu’il ne meurt pas…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
_____________________________________
Saisons.
Par Blexbolex.
Albin Michel, 14,90€, novembre 2009.
Achetez Saisons sur Amazon.fr
Destination Abécédéria.
Par Blexbolex.
Les Requins Marteaux, 12,50€, octobre 2008.
Achetez Destination: Abécéderia sur Amazon.fr
Images © Blexbolex/Albin Michel/Cornélius.
Votez pour cet article
_____________________________________
-
Très mauvaise nouvelle,franck Frazetta est mort.C’est tout un pan de la BD et de l’illustration qui disparait…
-
Très mauvaise nouvelle,franck Frazetta est mort.C’est tout un pan de la BD et de l’illustration qui disparait…
-
Bon débarras, en bd c’était nul et en illustration, hyper académique, il a fait plein de petits émules grapheurs de skate boards, le royaume du culturiste et de la bimbo à poil.
-
Bon débarras, en bd c’était nul et en illustration, hyper académique, il a fait plein de petits émules grapheurs de skate boards, le royaume du culturiste et de la bimbo à poil.
Commentaires