Blue Note #1
Début des années 1930 aux États-Unis. La prohibition vit ses derniers jours, et la mafia profite des ultimes instants de cette époque dorée pour elle. Car en maîtrisant les lieux de « perdition » où l’on vend encore de l’alcool, elle manipule à sa guise tous les rouages de la société: police, juges, politiciens, journalistes, mais aussi artistes, puisque les meilleurs jazzmen se produisent dans ses établissements. Le sport aussi, avec notamment les matches de boxe, faciles à organiser aussi bien qu’à truquer. C’est dans ce panier de crabes tueurs que débarque Jack Doyle, armoire à glace et boxeur émérite, qui s’était pourtant juré de ne plus côtoyer ces gangsters. Mais il faut bien bouffer…
Premier volet d’un diptyque (le second présentera le point de vue d’un autre personnage), cet album immerge le lecteur dans un univers largement popularisé par le cinéma. Pas nécessaire de nommer la métropole poisseuse qui sert de décor à cette histoire sombre et violente, que ce soit New York ou Chicago, le crime et le désespoir suintent des murs et, paradoxalement, les talents ne cessent de pousser dans les interstices des pavés. Le rêve et le cauchemar américains, en quelque sorte. Sur une trame relativement classique et malgré quelques dialogues trop écrits, Mathieu Mariolle exploite en fin connaisseur cet univers et ses possibilités. Ses personnages sont des archétypes (le boxeur irlandais en quête de rédemption, la journaliste ambitieuse, le gangster italien sans scrupules, le petit combinard dégueulasse) mais pas des caricatures, car le scénariste de Shanghaï et Smoke City parvient à leur insuffler de la vie et leur donner l’épaisseur et/ou le mystère suffisants pour qu’on ait envie de les suivre jusqu’au bout. Et ce, grâce à un découpage narratif parfait et un rythme bien maîtrisé.
Mais ce qui épate le plus dans Blue Note, c’est bien le dessin du trop rare Mickaël Bourgouin. Éblouissant dans le registre pictural et gothique du Codex Angélique, il déploie ici une splendide esthétique de film noir aux teintes sépias, jouant sur les ombres, les formes et les textures pour donner une ampleur rarement vue dans ce type de récit. Tantôt fin tantôt brutal, son graphisme est toujours impressionnant, sans céder à des facilités de cadrage ou de mise en scène. Et sans se refuser quelques digressions oniriques. Chapeau.
Publiez un commentaire