BON ANNIVERSAIRE, PAUL GILLON !
Ce jeudi 11 mai, Paul Gillon souffle ses 80 bougies. Et fête ses 60 ans de bandes dessinées, dont la dernière, L’Ordre de Cicéron # 2, scénarisée par l’avocat Richard Malka ,vient tout juste de sortir chez Glénat. Dans BoDoï 96, Paul Gillon évoque, sur une page, sa vie (agitée) dans les années cinquante. Mais une page, c’est bien court. En 1990, l’auteur des Naufragés du temps et de La Survivante m’avait raconté longuement ses débuts d’illustrateur, puis de dessinateur, puis d’auteur complet. Cette interview fut publiée uniquement dans une brochure éditée pour le 2e salon européen de la bande dessinée de Grenoble. En voici de larges extraits.
JPF
1 /5 « VIRÉ D’UNE ÉCOLE POUR INJURES ENVERS LE DIRECTEUR »
Paul Gillon, quel fut votre premier travail de dessinateur ?
À seize ans, je réalisais des petits formats de chanson très à la mode avant, pendant et après la seconde guerre mondiale. Ils se composaient de quatre pages : un dessin de couverture, les musiques élémentaires et les paroles de la chanson. On les vendait aux coins des rues et dans des boutiques spécialisées. J’en ai réalisé des centaines sans en garder un seul. Récemment, des gens m’en ont envoyé un : « Le café au lait » au lit de Pierre Dudan. Il date de 1942-1943.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu un goût irréversible pour le dessin, une volonté absolue de ne rien faire d’autre. Mes études ont été succinctes. Mon enfance a consisté à passer d’hôpital en hôpital pour soigner une tenace tuberculose des os. Cinq ans de ma vie. J’en suis sorti à onze ans et demi. J’ai alors découvert l’école. On m’a mis dans ce qu’on appelait à l’époque la cinquième. Ça marchait tellement bien que je suis passé directement en seconde et qu’à la fin de l’année, avec une dispense, j’obtenais le certif. Certif qu’on affrontait normalement qu’à la fin de la première. Ensuite, je me suis retrouvé au cours complémentaire d’une école religieuse à Vincennes. On m’a fichu à la porte au bout de six mois. Je passais ma vie à dessiner. Pour ma famille c’était tout sauf un métier. Chez moi, on ne parvenait pas à comprendre la différence entre l’illustration telle que je la concevais et, par exemple, le dessin industriel ! Ma mère s’est saignée aux quatre veines pour me faire entrer dans une école de… dessin industriel. D’où j’ai été fichu à la porte au bout de six mois pour injures envers le directeur. L’étape suivante fut une école d’Arts et Métiers. On m’y a supporté six mois. Ma mère m’a alors inscrit dans une boîte d’arts graphiques. Là, ils m’ont viré au bout de trois mois.
Les délais se resserrent…
Je ne supportais pas un joug quelconque, justifié ou non. C’était viscéral. Pendant des années j’avais dû subir la discipline des hôpitaux. J’avais assez donné. Je voulais récupérer mon arriéré de liberté. Et l’addition était lourde.
Finie, l’école ?
Finie et bien finie. Nous habitions à Montreuil-sous-Bois. Paris à deux pas. Le monde des comédiens, des chanteurs, des théâtreux me fascinait. Pour fréquenter ce milieu, je me suis mis à dessiner des affiches. Dont une sur Charles Trenet que j’adorais. Et me voilà, un soir de 1942, à l’attendre avec mon affiche sous le bras à la sortie du théâtre de l’ABC. Je connais un jeune chanteur qui passe dans le même programme. Il nous présente. Je déballe mon affiche devant Trenet qui gentiment me dit » Pas mal, je vais y réfléchir. Laisse-la moi et passe me voir dans quelques jours « . Puis il monte dans un vélo-taxi et s’en va. Quelques jours plus tard, je rencontre un Trenet désolé : » J’ai oublié ton affiche dans le vélo-taxi ! « . Pour me consoler il me présente à son éditeur musical en lui disant : » II dessine bien, tu devrais le faire travailler sur les petits formats « . C’était parti ! J’avais 16 ans.
Premier argent…
Je gagnais très bien ma vie. Mais sans fiche de salaire… J’ai dessiné des centaines de couvertures de petits formats de chansons. Je couchais chez des copains, dans les escaliers du métro. J’avais le goût de traîner la nuit, mais c’était dangereux. Les Allemands avaient instauré le couvre-feu. Parfois, l’hiver, je descendais les Champs-élysées au beau milieu de l’avenue, sûr de me faire ramasser par les flics. Je passais ainsi la nuit au chaud. Inconvénient du système : dès six heures du matin ils envoyaient des hirondelles chez ma mère. J’ai foutu un bordel dans notre vie familiale ! Mon père était mort alors que j’avais six ans. Ma mère et ma grand-mère étaient censées m’élever. Elles ont fait ce qu’elles ont pu.
SUITE : « Je réalise l’affiche du premier spectacle
de Charles Trenet dans Paris libéré »
Autres dossiers : 2/5, 3/5, 4/5, 5/5
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