Broussaille l’intégrale #1 (1978-1987)
Les années 1980 furent une décennie difficile pour les éditions Dupuis, période de mutation où l’absence des grands anciens se faisait sentir (Morris est parti chez Dargaud depuis longtemps, Franquin et Peyo ne produisent presque plus, Tillieux est mort prématurément…). Spirou, à cette période, connaîtra plusieurs formules et rédacteurs en chefs plus ou moins inspirés, mais mettra le pied à l’étrier à toute une génération d’auteurs, alors unis sous un certain onirisme étonnant, parfois doux amer. André Geerts, Hislaire avec Bidouille et Violette, Marc Wasterlain et son Docteur Poche – qui avait ouvert le bal des intégrales Dupuis sur cette période – et, donc, le jeune Frank Pé. Comme les deux premiers sus-cités, il étudiait au bien connu institut St-Luc quand il publia ses premières cartes blanches, ce qui le fera repérer par ceux qui constitueront une « bande » au sein de la rédaction dans les années 1980.
Après plusieurs récits courts et petites animations, Frank Pé saisit un espace vide, une chronique nature délaissée, et crée les « Papiers de Broussaille ». Sur cette page, un jeune homme naïf amoureux de la nature présente aux lecteurs différentes espèces de crapauds, un type d’arbre, comment construire une cabane pour les oiseaux… Didactique et abondante en rédactionnel, la page prend parfois l’aspect d’une planche de bande dessinée, puis occasionnellement des récits complets de Broussaille apparaissent, nettement moins informatifs mais toujours empreints de poésie et d’amour de la nature.
En 1982, le jeune scénariste Bom écrit La Chapelle aux chats, cinq pages signant la première collaboration des deux auteurs. Personnage non figé, Broussaille évolue au fil des pages, parfois avec l’aide d’autres scénaristes amis, comme les méconnus Pierre Rivage et Alain Clément, qui signent chacun une histoire. Bom tourne autour du personnage, il écrit une nouvelle en 1983, publiée avec d’abondantes illustrations.
Puis les deux compères osent proposer un scénario d’album complet, un 44 pages où Broussaille voit passer des baleines volantes dans le ciel de Bruxelles. Désarçonné, l’éditeur tente de réduire l’histoire à dix pages, puis d’y adjoindre une bande de copains, une enquête… Mais le duo s’accroche et Les Baleines publiques, récit ancré dans l’imaginaire naturaliste et une vision fantastique, voit le jour. Véritable OVNI, il est suivi par Les Sculpteurs de lumière, récit radicalement différent, toujours empreint de nature mais s’ancrant dans une intrigue parfaitement réaliste et mettant en avant le conflit entre progrès technique et protection de l’environnement… Dans une présentation bien sûr loin du tract militant. Frank et Bom semblent avoir réussi leur pari : imposer un héros atypique dont la cohérence vient du regard porté sur le monde…
Personnage majeur du renouveau de l’école de Marcinelle, Broussaille méritait une intégrale à la hauteur. Avec la publication totale des chroniques et récits originels – représentant plus de 70 pages inédites –, de plusieurs pages de croquis et d’une passionnante préface de Jean-Pierre Abels, riche en documents rares (synopsis original, dessins, premiers récits de Frank Pé…), ce premier volume est à la hauteur de l’attente. Une belle lecture qui n’a rien perdu de son actualité, quand on constate que certaines espèces présentées dans les chroniques sont encore davantage menacées aujourd’hui…
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