Bryan Talbot : la lumière de Grandville
Il a l’assurance de l’artiste à succès et le regard de l’enfant émerveillé devant ses héros préférés. À 58 ans, Bryan Talbot a fait un petit tour à Paris, invité par les éditions Milady Graphics, pour présenter son épatant album Grandville. Une enquête brutale et trépidante dans une Europe steam-punk, peuplée d’animaux anthropomorphes. Influencé par le travail des illustrateurs français JJ Grandville ou Albert Robida, Bryan Talbot produit une aventure palpitante avec des dessins semi-naïfs de toute beauté, magnifiés par une édition française luxueuse (et au prix carrément raisonnable). N’hésitez plus, foncez suivre l’enquête de l’inspecteur LeBrock, mix de Tintin, Sherlock Holmes et Jack Bauer, et découvrez un auteur anglais délicat et passionné.
D’où vient l’idée de Grandville ?
Après avoir terminé mon livre Alice in Sunderland, je me suis replongé dans un ouvrage sur l’illustrateur JJ Grandville, que j’avais dans ma bibliothèque depuis les années 70. Et là, presque immédiatement, j’ai eu cette vision d’un univers steam-punk, peuplé d’animaux anthropomorphes. Paris serait la capitale de ce monde et j’ai trouvé que le nom de Grandville lui irait comme un gant !
Le genre policier s’est-il également imposé de lui-même ?
Oui, car je rêvais d’une histoire policière depuis longtemps. C’était l’occasion rêvée. Je me suis mis à écrire très vite et, en une semaine, j’avais déjà les grandes lignes de plusieurs scénarios d’albums. D’habitude, je pense à mes bandes dessinées pendant des années avant de m’y mettre. Cette rapidité de création est une grande nouveauté pour moi !
Grandville est à la fois un polar et une oeuvre de science-fiction. Un genre dont vous êtes plutôt familier…
Oui, j’en fait depuis des années. Et j’avais d’ailleurs tâté du steam-punk auparavant, puisque Les Aventures de Luther Arkwright font partie de cette famille de la SF. Cette série est née de la reprise d’un personnage de l’écrivain Michael Moorcock, Jerry Cornelius, qu’il avait laissé les créateurs libres d’utiliser comme ils le souhaitaient [Moebius l’a repris pour Le Garage hermétique -ndlr]. Je l’avais mis en scène dans une histoire courte dessiné au lavis, l’avais envoyé dans des mondes parallèles et fini par le rebaptiser Arkwright. Et j’ai développé l’idée par la suite dans deux livres.
Vous évoquez les attentats du 11 septembre 2001 en imaginant un crime similaire commis contre la Tour Robida, sorte de Tour Eiffel de votre Grandville. Et vous dévoilez qu’il s’agit en fait d’un complot politique. Pour vous, le 11 septembre est un complot des gouvernements occidentaux ?
Non, non, ce n’est pas mon avis. Mais on ne peut nier que nos gouvernements mentent et manipulent l’opinion pour arriver à leurs fins. C’était le cas dans la lutte conte le communisme, qui a servi de prétexte à bon nombre de politiques dangereuses. Et les gouvernements américains et britanniques ont également menti à propos de l’Irak et des armes de destruction massive… Ce n’est pas nouveau, et nous autres auteurs de fictions, ne pouvons nous empêcher de nous inspirer de l’actualité dans nos scénarios.
Comme Jack Bauer, le héros de la série télé 24, votre inspecteur LeBrock a des méthodes d’enquête assez expéditives, il n’hésite pas à torturer ou tuer…
Oui, mais il ne s’en prend qu’aux méchants ! Je n’ai pas vu 24, ce n’est donc pas une influence directe. Je voulais un héros tenace et féroce, c’est pourquoi j’ai choisi un blaireau pour le représenter. LeBrock est un intelligent blaireau de la classe populaire, une version musclée de Sherlock Holmes !
Vous rendez hommage à de nombreux artistes et oeuvres de fiction, comme Gustave Doré, Spirou ou Bécassine. Et vous mettez en scène le chien Milou de Hergé, sous les traits d’un accro à l’opium. Vous n’avez pas peur de la réaction courroucée de Moulinsart, qui multiplie actuellement les procès ?
Ah, ils font des procès ? Je ne le savais pas… J’ai découvert Tintin quand j’avais cinq ans, je dévorais ses aventures à la bibliothèque à côté de chez moi. J’adorais ça ! Voilà pourquoi j’ai voulu lui faire un petit clin d’oeil dans Grandville. C’est une gentille parodie, un hommage affectueux, car même si mon Snowy Milou est un toxicomane, il n’est pas présenté comme une mauvaise personne…
Comment se porte la bande dessinée en Grande-Bretagne aujourd’hui ?
Bien, l’industrie de la BD est en très bonne santé, merci. Bien sûr, il n’y a pas de grande tradition de la bande dessinée en Angleterre comme ici en France, mais force est de constater que de plus en plus d’auteurs se mettent à la BD adulte. Avant les années 60, ce genre était réservé aux histoires pour enfants. Mais sous l’influence de la scène underground américaine, des vocations sont nées. Et depuis quinze ans environ, les ventes des romans graphiques ne cessent de monter. D’ailleurs, les grandes librairies se dotent désormais de vrais rayons consacrés à la BD, ce qui ne se voyait pas du tout avant. Et, autre nouveauté, je suis régulièrement invité à des festivals consacrés au livre. J’ai même reçu un titre de docteur honoraire de l’université de Sunderland en juillet dernier !
Comment voyez-vous le développement de la bande dessinée numérique ?
On ne peut pas le nier, ni l’arrêter. Je sais que Dark Horse Comics travaille actuellement à l’adaptation de Grandville pour écrans, on verra ce que ça donne. Mais je reste très attaché à l’objet livre, aux belles éditions…
Quels sont vos projets ?
Je continue Grandville ! Le deuxième volume devrait être bouclé cette année : ce sera une histoire de tueur en série entre Paris et Londres. J’ai déjà des histoires pour trois ou quatre tomes de plus, mais il faut que la série marche pour que je puisse continuer… Le troisième tome accentuerait plus le registre science-fiction. Le quatrième tournerait autour d’une conspiration politico-religieuse, inspirée par la montée actuelle du parti fasciste de Grande-Bretagne. Et le cinquième mettrait en scène une guerre des gangs, avec l’inspecteur LeBrock coincé au milieu ! Actuellement, Mike Richardson, président de Dark Horse, essaie de produire une adaptation ciné de Grandville. Ce serait ma garantie pour poursuivre ma série…
Propos recueillis et traduits par Benjamin Roure
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Grandville.
Par Bryan Talbot.
Milady Graphics, 15,90 €, février 2010.
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Images © Bryan Talbot 2009 / Jonathan Cape
© Bragelonne pour la présente traduction
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Vraiment impressionnant, malgré quelques premières pages peu accrocheuses, une enquête vraiment haletante, de très bons personnages, un univers steampunk « cohérent »… Et un cahier de 23 pages sur le travail de l’auteur qui est un exemple à suivre pour les autres éditeurs. Au moins, voilà un album construit, détaillé, qui pose des personnages et se suffit à lui-même, très différent de ce qu’on voit beaucoup trop en ce moment (séries à rallonge, dessins bâclés, collections appauvries…)
De l’excellent comic! -
Vraiment impressionnant, malgré quelques premières pages peu accrocheuses, une enquête vraiment haletante, de très bons personnages, un univers steampunk « cohérent »… Et un cahier de 23 pages sur le travail de l’auteur qui est un exemple à suivre pour les autres éditeurs. Au moins, voilà un album construit, détaillé, qui pose des personnages et se suffit à lui-même, très différent de ce qu’on voit beaucoup trop en ce moment (séries à rallonge, dessins bâclés, collections appauvries…)
De l’excellent comic!
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