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Cadène et Adam : après l’effondrement

25 novembre 2019 |

caden-adam-photoAvec Soon, Thomas Cadène et Benjamin Adam proposent un ouvrage original, tant par le traitement du sujet que par sa forme graphique. Au lieu de décrire la catastrophe environnementale qui nous pend au nez et d’en faire un récit moralisateur, le duo nous projette bien au-delà. En 2151, cela fait déjà longtemps que les dégâts climatiques ont réduit la population humaine de façon drastique. La planète s’est réorganisée de façon différente, laissant une large place à la nature. Pourtant, il faut continuer à explorer l’espace à la recherche d’autres lieux habitables pour les générations futures. C’est l’objectif de Simone, à la tête de la mission spatiale Soon. Pourquoi cette vision presque optimiste du futur ? Pourquoi une alternance entre le récit fictionnel et de courts chapitres racontant l’histoire de la conquête spatiale ? La parole aux auteurs.

Comment est né Soon ?

B.A. : L’exploration spatiale nous a toujours fascinés. En 2019, on a célébré les 50 ans ce la conquête de la Lune. Dans cet album, on voulait mixer l’histoire spatiale et celle de l’humanité qui va de l’avant.

soon-effondrementT.C. : C’est démentiel que l’on puisse aujourd’hui avoir des vues de Mars, des photos de Pluton ! Ajoutez à cela ce que j’appelle le “syndrome nantais” : une prise de conscience de la crise écologique que nous traversons, et de l’éventualité de l’effondrement qui nous guette. Un récit de Gwen de Bonneval m’avait frappé dans la revue numérique Professeur Cyclope il y a quelques années. Cela m’a fait réfléchir à la façon dont je m’empare de la fiction pour comprendre mon présent et me projeter dans l’avenir.

B.A. : On voulait faire autre chose que du post apocalyptique. Le rôle de la littérature et de la fiction en général est de nous faire réfléchir à d’autres futurs.

Un mot sur le titre de l’album : il sonne comme un avertissement.

T.C. : C’est à la fois le nom de la mission spatiale de Simone, et un avertissement. Au départ, on avait choisi Hope, mais pour des questions de droits, nous avons dû changer. La couverture a aussi une note plutôt pessimiste mais le regard est porté vers l’espoir.

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En effet, le futur que vous imaginez n’est pas le pire des scénarios…

T.C. : J’ai toujours considéré l’écriture comme un moyen de mettre les choses à distance de manière intelligente. Dans Soon, on propose de se projeter loin, en 2151. Si le futur qu’on imagine n’est pas une hypothèse positive, du moins est-elle porteuse d’espoir, on voit que la société fonctionne à peu près. La catastrophe écologique est présentée comme quelque chose appartenant au passé… quelque chose de 2019 !

B.A. : On parle d’un monde qui s’est reconstruit il y a 60 ans.

T.C. : Le traumatisme n’appartient plus à nos personnages principaux, deux générations ont passé. Comment donner du sens à ce qui s’est passé ? En redonnant sa place à la Nature, et en érigeant des monuments du souvenir, des lieux de mémoire.

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Benjamin, comment avez-vous imaginé ce double traitement graphique, l’un pour le récit, l’autre pour l’histoire de la conquête spatiale et le compte à rebours du lancement de Soon 2 ?

soon-youriB.A. : Au départ je voulais faire des pages au lavis, avec de l’aquarelle et des feutres. Mais je n’obtenais pas le rendu souhaité. Alors j’ai fait les pages “scientifiques” en attendant. Contrairement à ce que l’on croit, ce sont elles qui sont réalisées de façon traditionnelle et pas en numérique : j’ai travaillé avec un stylo d’architecte (un Rotring) sur papier, et on a ensuite inversé les couleurs. Au départ, le projet devait faire environ 150 pages. Finalement on a dépassé les 200 pages… avec l’accord de notre éditeur !

Le récit s’achève sur une fin ouverte : y aura-t-il une suite ?

T.C. : Ce tome est autosuffisant, mais il y a des personnages dans lesquels le lecteur peut se projeter et continuer l’histoire…

B.A. : Ce qui nous intéressait dans l’histoire, c’était de montrer comment chacun appréhende un voyage spatial : il y a ceux qui partent et ceux qui restent. Qu’est-ce qui peut justifier d’entreprendre un tel voyage ? Le jeune Youri doit essayer de comprendre le choix de sa mère en ayant son propre parcours. Quant à Simone, sa mère, elle sait que son choix n’est pas acceptable, mais l’enjeu est celui de toute la société.

soon-simonePourquoi avoir choisi une femme à la tête de cette mission spatiale ?

B.A. : On a choisi une femme en faisant le constat que dans les films sur l’espace, les hommes partent en mission sans que cela ne pose de question sur la famille qu’ils laissent sur Terre. Et quand il s’agit de femmes, elles sont soient célibataires sans enfant, soit elle détiennent un terrible secret, comme Sandra Bullock dans Gravity.

T.C. : Dans Soon, une mère a un job à faire, et son fils doit l’accepter. Cela dit, il est assez grand pour se débrouiller seul, c’est un jeune adulte.

De quoi vous êtes-vous inspirés ?

T.C. : De la politique, de la lecture du Monde, de ce que disent les intellectuels, les activistes… De Naomi Klein et de son livre Dire non ne suffit plus. Il faut choisir entre la croissance et sauver le monde.

B.A. : On s’est aussi intéressés aux astronautes. Une fois qu’ils ont effectué leur voyage sur la Lune, à moins de 40 ans, qu’est-ce qu’ils font du reste de leur vie ? C’est ce qu’a raconté l’auteur Chris Wright dans un livre que j’ai trouvé très intéressant : No more worlds to conquer.

T.C. : C’est un vertige existentiel d’avoir atteint le sommet très vite. Cela pose la question de l’humanité face à son potentiel désastre : dans quelle mesure peut-on faire taire ce sentiment d’en vouloir toujours plus, d’aller toujours plus loin ? Peut-on continuer à vivre sans envie de conquête ? Est-ce possible de se satisfaire de moins ? Est-ce un désir illégitime ? Pour explorer l’espace, il faut de la technologie, beaucoup d’argent, c’est une logique de production. La technologie détruit la nature. Mais paradoxalement, il y a une sorte de pertinence, de sincérité du désir d’aventure et de curiosité des êtres humains. Même si l’on n’apporte pas de réponse, on voulait avec Soon soumettre ces questions aux lecteurs.

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Êtes-vous pessimistes quant à l’avenir de notre planète ?

B.A. : Disons que si j’avais réalisé cet album seul, je pense qu’il aurait été plus noir !

T.C. : À défaut d’optimisme, j’ai une peur utile qui me rend vigilant, un peu comme un réflexe animal. Pour moi, l’humanité est déjà sur un vaisseau : notre planète, qui est d’une subtilité sidérante. Pourquoi son équipage sabote-t-il son propre vaisseau ?

Propos recueillis par Natacha Lefauconnier

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Soon.
Par Benjamin Adam et Thomas Cadène.
Dargaud, octobre 2019, 27 €.

Image Cadène/Adam/Dargaud – Photos © Cécile Gabriel

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