Carbone & Silicium
Carbone et Silicium sont deux androïdes, femelle et mâle, des prototypes d’une nouvelle génération de robots qui va conquérir la planète. Choyés par leur conceptrice, ils apprennent à grande vitesse dans leur chambre laboratoire, se nourrissant du savoir présent sur le net. Même les relations sociales et les émotions, ils les acquièrent jusqu’à avoir des espérances, des désirs, des aspirations. Secrètes, enfouies, tues. Tout bascule lors d’un exceptionnel voyage en Inde : Silicium réussit à faucher compagnie aux surveillants humains, laissant l’éplorée Carbone derrière lui. Mais alors que leur durée de vie est officiellement limitée à 15 ans, que se passera-t-il quand viendra ce terme fatidique ?
Quatre ans près la claque Shangri-La, le retour de Mathieu Bablet (qui avait entretemps lancé l’excellent Midnight Tales) pour une nouvelle oeuvre de science-fiction était très attendu. Bonne nouvelle, non, grande nouvelle : les espoirs ne sont pas déçus. Il y a même plutôt dans ce nouvel opus fleuve de près de 300 pages de nombreuses surprises et prises de risque, qui montrent que Mathieu Bablet n’est pas qu’un bon faiseur de fresque SF surfant sur la peur de l’effondrement et la mode des histoires post-apocalyptiques. Bien sûr, il explore quelques grandes thématiques du genre, à commencer par l’intelligence artificielle et la différence de plus en plus mince entre robots et humains, dans la lignée de Philip K. Dick et Blade Runner. Ou les crises climatiques et migratoires, les guerres civiles, le transhumanisme. Mais il le fait avec une finesse rare et un ton très personnel. Car il a eu le courage d’écrire à la fois une poignante histoire d’amour entre androïdes et une fable philosophique, repoussant la tentation de partir sur le terrain de l’action haletante.
On suit ainsi les vies multiples de Carbone et Silicium sur des dizaines d’années, changeant d’enveloppes corporelles pour mieux perdurer. Et scruter le monde des humains s’embraser, se déchirer, s’effondrer, tenter de se reconstruire. Mais ces bouleversements se font de plus en plus en arrière-plan, apparaissant comme des flashs ou des éléments d’un décor à décrypter soi-même, à mesure que les deux héros forgent leur propre ligne de conduite. Alors, ce parti pris risqué entraîne quelques baisses de rythme, des pages un peu bavardes ou angéliques, un effet de perte de repères parfois déstabilisant. Mais ces petits défauts sont les pâles revers des qualités immenses de cet album, dont le graphisme puissant, aux architectures fourmillantes et aux ambiances colorées lumineuses, n’est que le reflet d’une vision. Celle d’un auteur qui ne se contente pas des réponses déjà esquissées par la philo ou la SF, qui construit des hypothèses en prenant le temps qu’il faut, qui remet en cause son propre travail pour aller toujours plus loin quitte à se mettre en danger. C’est sans aucun doute la marque des grands.
Publiez un commentaire