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Carlos Trillo, une dictature en héritage

17 février 2009 |

trillo_intro.jpg« Nous tuerons d’abord tous les rebelles, puis nous tuerons ceux qui ont collaboré avec eux, ensuite nous tuerons leurs sympathisants, nous tuerons les indifférents et, finalement, nous tuerons les timides. » Ces terribles propos ont été proférés par Ibérico Saint-Jean, gouverneur militaire de la province de Buenos Aires, à la suite du coup d’État de 1976 en Argentine. À l’époque, Carlos Trillo a 23 ans. Le futur scénariste des Spaghetti Brothers et de Bang Bang assiste au délitement d’une société et à ses cruelles errances. Plus de trente ans après, il raconte ce trauma à travers l’histoire d’Elvio Gustavino, un nostalgique du régime « dont la folie ne peut éveiller en nous la moindre pitié », note-t-il sans appel dans la préface du livre. Dans L’Héritage du colonel, ce fils de tortionnaire affame sa mère pour acheter une poupée ancienne dont il est amoureux. Au Festival d’Angoulême, où il était invité, Carlos Trillo est revenu sur cet ouvrage fort et glaçant, dessiné de façon expressionniste par Lucas Varela.

Pourquoi avez-vous souhaité évoquer l’Argentine des années 70 ?
La situation était alors terrible. Le gouvernement pratiquait la torture sur ceux qu’il considérait comme des révolutionnaires, une véritable guerre civile avait lieu. Elle s’acheva quand les militaires prirent le pouvoir – tuant ensuite plus de 30 000 personnes. Vingt ans après, ces criminels étaient persuadés d’avoir beaucoup fait pour le pays, et ne comprenaient pas pourquoi on voulait les jeter en prison. trillo_torture.jpgBeaucoup de mes amis ont été tués sous la dictature. Mais je ne voulais pas parler directement de cela, ç’aurait été trop difficile.

D’où l’utilisation d’un anti-héros à l’esprit dérangé…
Pour évoquer cette période difficile, j’avais besoin de raconter une histoire. Un jour, j’ai vu à la télé le fils d’un tortionnaire défendre son père, disant qu’il avait été patriote. Cet homme avait un tic, il clignait continuellement des yeux. Trois ans plus tard, je me suis inspiré de lui pour créer le personnage d’Elvio Gustavino. J’ai imaginé cette poupée dont il est amoureux, pour montrer immédiatement sa folie.

Que faisiez-vous en 1976 en Argentine ?
De la bande dessinée. Les militaires pensaient que les BD n’étaient destinées qu’aux imbéciles, du coup nous étions relativement tranquilles et ce médium servait à faire de la résistance. Je réalisais des strips plutôt simples, que les lecteurs interprétaient de façon biaisée. Par exemple, il suffisait que l’un de mes personnages dise quelque chose du genre « les pommes sont trop chères » pour que cela soit perçu comme une critique du régime ! Le magazine pour lequel je travaillais avant la dictature, Satiricon, avait été interdit. Une partie des employés avait fondé la revue Humor Resistrado, où l’on traduisait la répression de manière métaphorique.

N’étiez-vous pas inquiété par les autorités ?
J’avais peur. Les militaires pouvaient venir régulièrement chez vous. En tant que jeune homme marié, avec deux petits enfants, j’étais considéré comme un péril pour la société. C’est fou, je ne comprends toujours pas pourquoi.

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De quoi votre prochain scénario traitera-t-il ?
Du cadavre d’Eva Peron. Après sa mort, son corps aurait dû être détruit, mais les militaires ne purent s’en débarrasser, ils prétendaient qu’il dégageait un trop grand pouvoir. Sa dépouille fut alors donnée à un colonel qui en tomba amoureux et la considéra comme sa femme. On trouve beaucoup d’histoires étranges en Amérique du Sud…

Propos recueillis et traduits (de l’anglais) par Laurence Le Saux

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L’Héritage du colonel
Par Lucas Varela et Carlos Trillo.
Delcourt, 14,95 €, le 24 septembre 2008.
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