Clément se pose mille questions. Sur la vie, son sens, sur ce qu’est être un adulte, un père pourquoi pas. Mais il sent comme un blocage. Son psy met le doigt dessus : son histoire familiale pourrait y être pour quelque chose. En particulier celle de ses grands-parents arméniens, dont les parents ont vécu le génocide organisé par les Turcs. Il y a leur jeunesse, leur exil. Et cette petite fille, Carole, morte seulement quelques jours après sa naissance et enterrée à Istanbul. Mais dont la tombe n’est répertoriée nulle part… Clément et son frère décident de mener leur enquête, et se rendent à Istanbul pour compléter le puzzle du passé.

Écrit et composé avec beaucoup de délicatesse et de pudeur, ce récit autobiographique montre l’importance de recueillir la parole des anciens, pour mieux comprendre d’où l’on puise ses racines. Car même si la culture arménienne était étrangère à l’auteur, il en portait des traces au plus profond de lui-même, qu’il avait besoin de cerner pour suivre sa propre route. Cette quête d’identité en forme de voyage, entre enquête intime et reportage dans une Istanbul qui bouillonnait alors des mouvements populaires pacifiques du Parc Gezi (réprimés par la violence et un tournant autoritaire du régime turc), est à la fois douce et touchante. Pas de scoop, de révélation incroyable, juste des souvenirs plus ou moins précis, des impressions, des regards et des sourires qui soulagent. On pourra peut-être regretter une distance un peu trop forte de l’auteur dans sa narration, comme s’il voulait éviter le lâcher-prise et un déferlement d’émotions, ce qui n’aide pas le lecteur à entrer en totale empathie. Une distance et une maîtrise qu’on sent aussi dans le dessin, très posé, fluide et subtilement coloré, tout en nuances de lumières. Mais ce manque de spontanéité ne nuit aucunement au projet, parfaitement construit et réalisé : Carole est une BD solide, élégante et par moments émouvante, et saura toucher toutes celles et ceux qui ont un arbre généalogique tortueux et douloureux.