Catherine Meurisse emprunte “Le Pont des arts”
On la savait férue de littérature. Catherine Meurisse, 32 ans, l’est aussi de peinture. L’auteure de Mes hommes de lettres, par ailleurs dessinatrice à Charlie Hebdo, publie Le Pont des arts, subtile – et très drôle – analyse des liens ayant existé entre certains peintres et écrivains.
Avec Le Pont des arts, souhaitiez-vous donner une suite à Mes hommes de lettres?
Il ne s’agit pas vraiment d’une suite : cela m’angoisserait, j’aurais l’impression de me répéter et de faire le même livre. Le Pont des arts et Mes hommes de lettres ont un air de famille, mais sont différents. Entre les deux, j’ai réalisé Savoir-vivre ou mourir ou Drôles de femmes. Mais la littérature occupait constamment un coin de ma tête.
En quoi les liens entre peinture et littérature vous intéressaient-ils particulièrement?
En fac de lettres, j’ai découvert le rapport texte-image grâce un prof, qui avait pointé les correspondance entre Gustave Moreau et Hysmans. C’était fascinant… J’ai ensuite bifurqué vers les arts, en m’inscrivant à l’école Estienne puis aux Arts Déco. J’y étais heureuse de dessiner, mais les textes me manquaient. Enfant, j’ai développé un intérêt particulier pour le patrimoine – mes parents emmenaient leurs enfants dans les musées et voir les monuments parisiens, et ma soeur travaille aux éditions du Louvre. Cette curiosité m’a poussée du côté des écrivains s’adonnant à la critique, comme Zola, Baudelaire ou Proust.
Comment avez-vous sélectionné les histoires qui composent Le Pont des arts?
Je suis partie d’anecdotes. C’est ma méthode habituelle : regarder l’Histoire par le petit bout de la lorgnette, y entrer de façon décontractée. Cet angle s’est imposé à moi il y a quelques années, lorsque j’étais allée à un vernissage dans l’atelier où Balzac a situé Le Chef d’oeuvre inconnu, et où Picasso a peint Guernica. Je trouvais fabuleux que ces deux grands hommes aient été entre ces murs ! Et déjà les images affluaient dans ma tête… J’ai ensuite sélectionné des auteurs et peintres que je maîtrisais bien, pour pouvoir prendre du recul et m’amuser avec leurs oeuvres. Certains sont apparus comme des évidences : Baudelaire évoquant Delacroix, Zola défendant Manet, Proust – même si je n’ai pas lu l’intégralité d’À la recherche du temps perdu… Je suis allée à la pêche, j’ai vu se dessiner des passerelles entre les îles.
Eugène Delacroix ressort comme une sommité incontestable pour nombre de vos protagonistes.
Toutes ces couleurs, ces mouvements, cette façon de peindre avec force les chevaux, les félins… Il incarne le romantisme absolu. J’aime beaucoup cette figure majeure du XIXe siècle. L’homme semble avoir été austère, guindé, mais le côté sanguin de son oeuvre contrebalance ce ressenti. Je me suis permise de le représenter en bonhomme à la fois énervé et sympa. Il forme un beau tandem avec Ingres, que j’apprécie tout autant. Ce dernier usait d’une ligne fameuse, un dessin léger, pas si classique que ça. Picasso s’en inspirera en le déformant. Je ris toujours en regardant son Bain turc, qu’il a peint à 80 ans. Il était finalement moins coincé que Delacroix !
Vous êtes-vous beaucoup documentée?
Je glane des informations un peu partout, je picore pour ne pas assommer et rester lisible. Je suis allée de livres en catalogues ou en peintures, j’ai visité des expositions, lu des articles de critiques d’art… J’ai vécu dans une bulle. Le voyage était tellement passionnant et absorbant que j’ai eu un gros coup de blues en terminant le chapitre sur Proust !
Quelle est la part de réalité de l’album?
Tout ce que je raconte est vrai. Certains dialogues sont inventés ou modifiés par rapport aux textes originaux, pour ajouter du liant. Je reprends des citations en les ajustant afin que ce soit vivant, lisible dans une bande dessinée, sans pour autant perdre du vue l’idée initiale.
Vous effectuez un travail de mise en scène proche du théâtre.
Oui, cette théâtralité s’est imposée. Je prends de plus en plus de plaisir à la créer, à imaginer une ambiance de vaudeville. J’aime le burlesque, les sketches, Charlie Chaplin ou encore les Monthy Python. Je cherche un format court avec un gag, une chute. Depuis un an, je prends des cours de théâtre. J’ai découvert l’art de s’amuser et d’amuser en écoutant les autres. Cela me sert dans mes dessins.
Comment votre trait a-t-il évolué au fil des années?
Dans Mes hommes de lettres, il était très vif. Trop, peut-être : en regardant ce livre, je me demande si je ne l’ai pas fait en courant ! Pour Le Pont des arts, j’ai décidé de prendre mon temps, de me poser et ne faire qu’un album à la fois. Pour le soigner vraiment, sans m’épuiser. J’avais peur de perdre en spontanéité, mais je n’ai pas l’impression que ça a été le cas.
Qu’advient-il d’Elza Petitpa, dont Sarbacane publie une intégrale?
Pour l’instant, le scénariste Didier Lévy et moi-même ne prévoyons pas de suite aux aventures de cette petite nénette espiègle. Didier est sur d’autres projets, il s’est mis au dessin. Et comme je manque de temps je privilégie mes livres personnels.
Comment va la vie à Charlie Hebdo?
Après l’incendie criminel de notre local [après que l’hebdomadaire satirique ait publié Charia Hebdo] – l’enquête de police suit son cours… -, nous avons été hébergés pendant un mois par Libération, avant d’avoir notre propre endroit. Nous n’avons pas été ébranlés, sauf sur le plan matériel. Cela nous a renforcés dans nos convictions. Mais nous nous serions bien passés de ce coup de pub malheureux, qui a été récupéré par tout le monde : nous avons reçu le soutien de la gauche comme de Marine Le Pen.
Quels sont vos projets?
Je vais inaugurer la collection de Futuropolis en coédition avec le musée d’Orsay – sur le même modèle que celle réalisée avec Le Louvre. J’ai carte blanche, il faut que je trouve un angle. Je viens de récupérer un badge, je suis maintenant censée me balader sur place pour trouver l’inspiration…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Par Catherine Meurisse.
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Elza – C’est quand tu veux, Cupidon !
Par Catherine Meurisse et Didier Lévy.
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Images © Sarbacane.
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