Céleste #1
Elle n’a que 21 ans et, selon ses aveux, ne sait rien faire d’utile dans une maison. Et pourtant, c’est elle, Céleste Albaret, que l’écrivain Marcel Proust va choisir, d’abord pour porter ses plis et colis, ensuite pour veiller sur lui au jour le jour. Alors que la Grande Guerre fait rage, la jeune campagnarde – placée là par son mari, chauffeur de taxi qui conduisait parfois l’auteur – concoctera le café et les bouillons de son maladif maître, répondra au téléphone, s’assurera de son confort, écoutera ses plaintes, lui confiera ses rêves en retour, et obtiendra quelques mots griffonnés de sincère reconnaissance. Et restera à ses côtés jusqu’à sa mort ne 1922.
Avec la grâce et la sensibilité qu’on lui connaît, et son extraordinaire sens de la mise en scène, Chloé Cruchaudet s’empare de cette relation étonnante et fascinante, dont les détails ont longtemps été tus par Céleste Albaret elle-même. L’autrice de Mauvais Genre ou de La Croisade des innocents fait raconter ces huit années décisives par une Céleste âgée et espiègle répondant aux sollicitations de collectionneurs d’objets de stars. Elle introduit ainsi une distance narrative judicieuse, permettant de coller au point de vue de son héroïne et d’imposer ses ellipses. On se laisse alors embarquer dans le tourbillon d’émotions nouvelles de Céleste, qui se laisse enivrer par les mots de Proust et attendrir par sa fragile et complexe personne. De ses encres colorées délicates, dans des gammes de mauves et verts presque fantastiques parfois bousculées par de l’ocre rugissant, Chloé Cruchaudet brosse le passionnant et subtil portrait d’une femme qui s’épanouit auprès d’un être complexe, souvent arrogant et humiliant, mais souvent aussi tétanisé par l’angoisse. Une femme qui s’affirme peu à peu, s’émancipe aussi, ne se laisse plus marcher sur les pieds et endosse un rôle presque maternel pour cet homme bien plus âgé qu’elle. Un album aussi élégant que sensible et intelligent, dont il nous tarde de découvrir la suite et fin.
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