Cette ville te tuera
Fondateur du « gekiga », manga pour adulte aux thèmes et à la narration très réalistes, Tatsumi est l’auteur prolifique d’une œuvre riche que les Français ont pu découvrir dès 1978 dans Le Cri qui tue, ou avec Hiroshima, deuxième manga publié en France, en 1982. Deux expériences qui ne furent pas des grands succès mais ancrèrent le style de l’auteur dans l’esprit de plusieurs lecteurs.
Parmi eux, Jean-Louis Gauthey, éditeur chez Cornélius, qui a entrepris plusieurs décennies plus tard de donner aux planches de Tatsumi l’écrin qu’elles méritaient, après déjà d’honorables publications chez Vertige Graphic. Cornélius publia donc L’Enfer puis Une vie dans les marges, récit autobiographique fascinant qui reçu le Prix Regard sur le monde à Angoulême 2012. On avait alors appris que Tatsumi préparait un troisième tome, que son décès a interrompu avant sa publication.
Fidèle à sa volonté de diffuser massivement l’œuvre du mangaka, l’éditeur a alors annoncé la publication de plusieurs anthologies chronologiques réunissant le meilleur de ses travaux. Cette ville te tuera en est le premier volume et couvre les années 1968-1979. Après une courte préface de Stéphane Beaujean, on y découvre 23 récits, la plupart inédits (les plus assidus avaient pu en lire quelques-uns dans Coup d’éclat, Le Cri qui tue et Popo Color).
Tatsumi se détache du manga classique à la fin des années 1950 avant de forger le gekiga. Ces planches sont donc celles où, après avoir travaillé un peu son idée, il l’affirme et l’assume pleinement. Les récits en portent la marque : réalistes, sociaux, souvent sordides, ils présentent de manière à la fois sobre et puissante les paumés du Japon d’après-guerre. Les frustrations de toutes sortes – sexuelles, la plupart du temps, mais aussi relatives à l’honneur, etc. – prennent presque un souffle épique tant l’auteur y met de puissance.
Ce premier tome est aussi passionnant que désolant, une anthologie étant forcément un choix drastique dans un ensemble qu’on devine excellent. Il est donc un jalon essentiel pour tout amateur de bande dessinée japonaise. Composé et façonné avec soin, ce manga durera sur tous les plans : aussi bien intellectuel que physique. On attend le tome deux ! Et l’on se prend à espérer que Cornélius offrira le même type d’ouvrages à Shigeru Mizuki. Cet autre mangaka majeur, qui vient de nous quitter, a été largement publié par Cornélius, mais la masse impressionnante de ses travaux (et leur variété) mériterait elle aussi une telle navigation guidée.
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