Charles
Charles Baudelaire n’est pas mort. Malgré les traits fatigués et les yeux cernés. On le voit déambuler dans les parcs de Bari, une petite ville du sud de l’Italie. À ses côtés, une bande de punks désœuvrés – Claudio, Giulio, Nicola – portée sur la boisson et trompant l’ennui à coups de répliques vides. Rapidement, Charles devient le maître à penser du groupe, celui que tout le monde s’arrache. Car l’homme dénote dans le paysage : affublé d’une redingote et d’un noeud pap’, avec ses allures de dandy supérieur, il devrait être marginalisé. Mais c’est tout le contraire qui se produit malgré son caractère irascible et sa nonchalance assumée… Un regard original, une plume de génie, une âme de visionnaire, Baudelaire n’a peut-être jamais été aussi moderne.
L’auteur italien Alessandro Tota (Fratelli, Palacinche, Terre d’accueil) revient avec une facétie amusante, sorte de chronique adolescente pleine de fraîcheur, doublée d’une réflexion sur le sens de la vie. Avec un pitch malin : Baudelaire ou un avatar vintage, qu’importe, se trouve propulsé dans une Italie pauvre et sans espoir, sur les bords d’une triste Adriatique. Des punks vont trouver en lui un mentor, une nouvelle source d’inspiration. Car Charles amuse, divertit et fait penser les autres : lui aussi désabusé, ses pensées anticonformistes se font l’écho d’un horizon bouché, sa misanthropie résonne du désespoir de jeunes Italiens privés de repères. Seulement voilà, la poésie peut encore tout sauver : le spleen sait être beau.
Loin de fouiller la biographie du poète, Alessandro Tota imagine un caractère vraisemblable à partir d’une œuvre pour mieux pointer une errance moderne. Et confronter les époques, les textes et le réel. Apparaît alors une image improbable en apparence, douce et anachronique, Charles côtoyant des punks alcooliques adeptes de drogues et tapant la discute. On goûtera ainsi le passage hilarant sur la misogynie du poète, lui fou amoureux de Carlotta à Bari, et le contraste saisissant entre les postures misanthropes de l’homme et son besoin obsessionnel des autres. Graphiquement, sur un lavis doux et élégant, Tota campe des scènes du quotidien centrées sur les visages pour mieux faire jaillir les dialogues. Le dessin répétitif, raccord mais ordinaire, n’est sans doute pas l’atout de la BD. On garde en bouche plutôt ce qu’elle dégage. Le goût doux-amer des illusions perdues, sans sacrifier la joie qu’elles procurent. Le spleen qui rend heureux et l’ivresse partagée. Car « il faut vous enivrer sans trêve. De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise, mais enivrez-vous… »
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