Charlie Adlard : Walking Dead à la vie, à la mort
Malgré une carrière riche, le dessinateur britannique Charlie Adlard, 49 ans, est surtout connu pour son travail sur le comics The Walking Dead, carton éditorial aux quatre coins du monde, adapté logiquement pour la télé et le jeu vidéo. Après plus de dix ans d’existence de la série de zombies, il était temps de faire le point avec son dessinateur, volubile et disponible malgré les nombreuses sollicitations…
The Walking Dead est un succès phénoménal et mondial. Dans quel état d’esprit étiez-vous quand tout a commencé ?
Vous me rappelez que je viens de fêter mes dix ans de travail sur cette série. Avant The Walking Dead, le titre le plus long que j’avais fait était The Establishment avec Ian Edginton, en 2001. À l’époque, je me souviens avoir été dans un temps mort. Je venais de finir The X-Files et d’autres titres pour Marvel et DC, un Batman aussi. Je vivotais sans être au chômage mais j’attendais un projet au long cours. Et puis le scénariste Robert Kirkman m’a appelé suite aux difficultés rencontrées avec Tony Moore [le premier dessinateur de The Walking Dead], m’a présenté le projet pour Image Comics et j’ai foncé. J’ai dit oui tout de suite, moins pour le scénario au début que parce que j’étais libre et sans contrat.
Peut-on imaginer, à ce moment-là, le carton que la série va devenir ?
Au début, je le voyais comme un projet à six volumes, avant de passer à autre chose, d’autant que je travaillais en même temps sur Warlock pour Marvel, à l’époque. Mais à aucun moment on ne se projette davantage. On dessine le scénario parce qu’il nous plaît ou pour son potentiel. J’avais surtout le sentiment que j’allais enfin avoir ma chance sur une série dans laquelle il allait être possible de peaufiner et de creuser les personnages. Mais oui, ce fut une réelle et bonne surprise. Après, le succès est quelque chose d’inexplicable au regard du nombre et de la qualité des parutions. Pourquoi la tienne marche et pas les autres ? Mystère…
Après plus de 130 chapitres sur dix années, ne tombe-t-on pas dans la routine ? Et comment gère-t-on la pression liée au succès de la série ?
J’ai toujours travaillé de la même façon, au jour le jour, sans crainte de la routine. À vrai dire, j’aime plutôt les habitudes et je tiens sûrement cela de ma mère. Se lever le matin, travailler sans être distrait. Je vis en outre dans un petit patelin d’Angleterre, de la taille d’Angoulême [en français dans le texte!], où j’ai la paix, loin des États-Unis, ce qui facilite les choses. Concernant l’histoire, Robert réussit à créer des ambiances et des environnements toujours excitants pour un récit très vivant. Je ne m’ennuie jamais. Dessiner The Walking Dead, c’est un plaisir renouvelé, comme aller au travail et être content de s’y rendre. Je dessine seul, bien installé chez moi, loin du tumulte, pour les lecteurs. C’est confortable. Le succès n’a rien changé à ma vie personnelle. Concernant ma carrière, j’ai la chance et la liberté aujourd’hui de pouvoir faire ce dont j’ai envie, ce que je désire vraiment. Un luxe dans le monde des comics.
En France, certains lecteurs trouvent que la série a tendance à s’éterniser, l’intrigue à s’émousser… Qu’en pensez-vous ?
Je ne le pense pas, car à mon sens l’histoire est toujours suffisamment bonne pour accrocher le lecteur. Cela tient à mon avis à une différence culturelle entre la France et les États-Unis, notamment en termes d’industrie du comics. Il faut produire un peu dans l’urgence 32 pages par mois là-bas, maintenir la tension, le suspense et le rythme de parution [soit deux volumes par an en France en moyenne, une dizaine d’épisodes aux États-Unis]. Quelque chose de très commun là-bas, un rythme de production industrielle, avec moins de temps morts entre chaque chapitre pour le lecteur. En France, l’approche créative et éditoriale est différente. Il faut plus de temps pour produire une BD, les logiques de rentabilité et d’édition sont différentes. La manière de lire la série est donc elle aussi différente et peut logiquement déboucher sur ces critiques. Ma particularité en tant qu’auteur, c’est justement d’être capable de produire beaucoup et vite.
The Walking Dead est-elle une série qu’on arrête un jour ?
J‘arrêterai le jour où je le ferai uniquement pour l’argent ! Mais j’aime toujours autant dessiner des visages et des expressions, peaufiner le niveau de détails. Et par dessus tout, saisir par le crayon les interactions entre les personnages. C’est la magie du livre à mon sens. Avec Robert, on veut terminer cette série. On est allé très loin, il serait difficile de faire plus. Maintenant, vous dire que l’on va arrêter dans deux ou dix ans, impossible de l’affirmer. Une seule certitude, il sera très délicat de trouver une fin, et une bonne.
Il faudra peut-être introduire des ellipses de 10 ou 20 ans, faire vieillir les personnages, je ne sais pas encore et je n’ai pas trop envie d’y penser.
Avez-vous du temps à consacrer à d’autres projets ?
J’ai un calendrier assez serré à tenir. C’est la raison pour laquelle je ne fais plus l’encrage seul, laissé à Stefan Gaudiano. Le crayonné et l’encrage prennent trop de temps. Ça me permet en tout cas de libérer du temps pour d’autres projets. J’ai ainsi presque fini The Passenger, une coproduction entre Delcourt et Image Comics, un récit de SF versant dans le thriller. J’ai un autre projet intitulé Vampire State Building, tout en poursuivant bien sûr The Walking Dead.
Propos recueillis (et traduits de l’anglais), à Angoulême, par M.Ellis
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Walking Dead #22.
Par Charlie Adlard et Robert Kirkman.
Delcourt, 14,95 €, le 21 janvier 2015.
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Je confirme que ça s’émousse:
Le T.22 casse pas trois pattes à un canard… et pourtant c’est le meilleur tome depuis un bout de temps!‘Faut conclure, Messieurs !
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