Chat de gouttière



Il y a des BD que nous ne sommes pas sensés aimer. Rien de trépidant, rien d’accrocheur. Un dessin sans spectacle et un thème anodin finissent de la rendre anecdotique à nos yeux. Et puis, bien enfoncé dans un moment creux, nous tournons tout de même une page. Puis deux. Puis la magie opère. Chaque trait, chaque mot, chaque mise en scène semble être d’une justesse infinie. C’est précisément le cas de Chat de gouttière, de Joana Estrela.
Sortie chez Les Grandes Personnes, Chat de gouttière se devrait d’être un livre destiné à la jeunesse. Il l’est, mais croyez bien qu’il fonctionne tout aussi bien sous le regard des adultes. Non par des double-sens ou des niveaux de lecture à tiroirs. Simplement parce qu’il parvient à raconter une histoire qui vient résonner dans l’âme de chacun. Le sujet en est simple : la mort d’un chat de 17 ans, racontée par une jeune fille du même âge, qui n’a donc vécu qu’en présence de l’animal. Aucune esbroufe, aucun effet de manche. Mais un accord parfait entre le propos et les moyens de le rendre intelligible.
Le trait se fait ici humble et rare comme pour ne pas brusquer l’adolescente en phase de deuil, lui dire qu’on est avec elle mais qu’on ne va pas s’imposer. Le texte est également très simple, épars, sans adjectif pompeux ni phrases ampoulée. La case se fait, elle, le témoin de la lourdeur du temps qui passe toujours plus lentement dans ces moments suspendus. On y voit les éléments du quotidien, de l’assiette à la télé, d’une cigarette fumée discrètement aux rides débutantes sur le visage de parents qui vieillissent. Cette histoire de chat en fin de parcours devient, par la grâce de Joana Estrela, celle d’une fille qui grandit et d’une foyer qu’elle va devoir, tôt ou tard, quitter. Ce qui s’évapore est aussi son enfance, sa relation subordonnée à ses parents, ses habitudes qui n’ont plus lieu d’être puisque désormais, elle n’est plus vraiment chez elle. Puisque son chat est mort, c’est à elle de vivre.
Publiez un commentaire