Mona fuit la Syrie avec son mari, tous deux rêvant d’une vie meilleure en Allemagne. Pour eux et leur enfant à naître. En attendant, c’est l’angoisse et la galère des squats, des dossiers de demande d’asile et des passeurs clandestins. Monika est sage-femme, grecque, en couple. Mais elle est démotivée et cherche autre chose, un autre chemin à donner à sa vie. Ces deux-là vont se croiser, peu se parler, mais s’inspirer, se rassurer, se donner un espoir. Au-delà des mots, des préjugés et des certitudes.

Sandrine Martin s’est appuyée sur des travaux d’anthropologues autour de femmes enceintes et réfugiées, et leur rapport avec les soignants qui les prennent en charge. Elle s’est aussi rendue sur place pour se documenter, et s’est également inspirée de sa belle-famille grecque. Mais c’est bien une fiction que l’autrice de Petites Niaiseuses, Niki de Saint-Phalle : le jardin des secrets ou Le Rire de l’ogre, compose ici, à travers un double-portrait fin et émouvant, construit au sein d’une narration originale et fluide. D’un côté, la voix-off de Mona s’adressant à son futur enfant, de l’autre le quotidien sclérosant de Monika conté de manière plus classique, et les moments où les deux se croisent, où les paroles et les regards se mêlent. Sur près de 200 pages, dont un intéressant cahier complémentaire en guise à la fois de making of et de documentaire, Sandrine Martin rapporte des récits poignants de migration et du quotidien de sans-papiers le long de la Méditerranée, et surtout interroge – par son titre, déjà – la notion de « chez soi », entre patrie, zone d’accueil et terre promise. Ses doux crayons bleu et rouge apportent la rondeur, la douceur et la distance qui conviennent pour bien s’immerger dans ce long album qui n’ennuie jamais, et qui offre à lire une réalité crue et des points de vue pas si souvent rapportés.