Chloé Cruchaudet sur les traces des premières exploratrices
Auteure aux cheveux d’or et au regard franc, Chloé Cruchaudet vient de laisser tomber le dessin animé pour se consacrer uniquement à la bande dessinée. À 33 ans, la lauréate du Prix Goscinny 2008 (qui récompense chaque année un jeune scénariste) se lance donc dans une trilogie fantaisiste et colorée, Ida. Loin de l’ambiance de son précédent album, Groenland Manhattan, qui racontait l’histoire vraie et terrible de Minik, petit Inuit déraciné de sa terre natale, qui doit apprendre à (sur)vivre dans le New York de la fin du XIXe siècle. Sa nouvelle héroïne se prénomme donc Ida: elle est Suisse, hypocondriaque et « dotée d’une féminité un peu encombrante », mais va prendre goût au voyage et devenir une vraie exploratrice. Comme Chloé Cruchaudet, qui explore sans a priori le petit monde de la BD, citant pêle-mêle comme références Miles Hyman, Lorenzo Mattotti ou Frederik Peeters. Rencontre avec une jeune dessinatrice pleine de doutes et d’énergie, qui est en train de s’imposer comme l’une des plus prometteuses du moment.
Ida est une exploratrice étonnante en cette fin de XIXe siècle. A-t-elle véritablement existé ?
Non, je me suis inspirée de nombreux récits de voyages et autobiographies d’exploratrices, mais pas d’une en particulier. Ce n’est pas de la grande littérature, mais j’ai aimé la sincérité de ces différents écrits. Dès le XVIIIe siècle, des femmes commencent à voyager, d’abord parce qu’elles suivent leur mari. Ensuite, viennent les premières vraies exploratrices, qui ont tout de même un prétexte pour partir, que ce soit la chasse au papillon ou la recherche de sujets pour leurs aquarelles.
Votre héroïne est assez fantasque: elle veut réaliser des guides de voyage!
Dresser des listes, c’est son prétexte à elle. Ce type de guides n’existait pas à l’époque, sauf peut-être pour quelques villes d’Europe. Au départ, Ida n’est douée pour rien, ce sont les événements qui la modèlent. Elle est un peu folle, inconsciente, mais aussi curieuse. Et elle apprend à adopter des stratégies pour impressionner les gens qu’elle rencontre. Un peu comme Mary Kingsley, une exploratrice dotée d’énormément d’humour, dont les récits m’ont beaucoup plu.
Ida est-elle une féministe ?
Non, elle n’a aucune revendication de ce genre. D’ailleurs, les féministes étaient rares à cette époque, même parmi les exploratrices. Les femmes étaient persuadées qu’elles étaient de toute façon inférieures aux hommes et qu’elles le resteraient. Ida n’a donc pas de discours rebelle mais, par ses actes, elle impose un certain respect. Je ne suis pas féministe moi-même, mais j’aime les femmes qui sont dans l’action.
Et qui portent un regard différent sur le monde…
Comme dans mon précédent album, Groenland Manhattan, je me suis intéressée à la façon dont l’être humain s’adapte à un environnement hostile, à la question de l’acquis et l’inné, à la manière dont l’homme gère son côté animal. J’aime la position de l’ethnologue, qui prend de la distance, observe pour comprendre. Ce que je fais parfois quand je suis invitée à des cocktails mondains où je ne me sens pas à ma place !
Pour le dessin, sur quelle documentation vous-êtes vous appuyée ?
Je me suis inspirée de quelques photos d’époque, en noir et blanc. Après, je me suis laissée porter. Je me suis mise à la couleur directe, avec un mélange d’aquarelles et d’encres. J’ai apprécié de travailler le hasard qui naît de l’utilisation de l’eau, mais qui induit une tension indispensable pour ne pas foirer les pages! De plus, je n’aime pas les albums aquarellés qui font l’effet de couleurs passées, alors j’ai choisi des teintes bien pétantes.
Quelle évolution constatez-vous dans votre travail depuis Groenland Manhattan ?
J’ai tenté beaucoup plus de choses, pris plus de risques. Sur Groenland Manhattan, j’étais très respectueuse du sujet, car c’était mon premier album et, en plus, une histoire vraie. J’ai toujours beaucoup d’empathie pour mes personnages, et certaines scènes ont été assez difficiles à vivre, notamment l’enterrement de la famille de Minik. Pour changer, je voulais donc une histoire plus légère, fantaisiste aussi. Avec Ida, mon but n’est pas d’être réaliste. Quant à ma façon de travailler, elle a aussi évolué car j’ai arrêté de travailler dans le dessin animé, qui commençait à me frustrer (mon rôle se cantonnait à faire bouger les personnages). Désormais, je me consacre exclusivement à la BD. Mais j’ai gardé la discipline apprise dans mon boulot d’animatrice, pour lequel il fallait être hyper organisée et respecter un planning.
Quels sont vos projets? Encore une histoire au XIXe siècle?
J’ai encore deux tomes d’Ida à réaliser, et après j’aimerais quelque chose de plus contemporain. Enfin, du moins plus proche de nous: j’ai une idée de récit qui se déroulerait dans les années 70. Mais ce que j’adorerais faire, c’est du reportage ou du documentaire dessiné.
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Ida #1 – Grandeur et humiliation.
Par Chloé Cruchaudet.
Delcourt, 13,95 €, le 7 octobre 2009.
Images © Cruchaudet / Delcourt – Photo © Oliver Roller
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Je vous ai vu dans une émission télévisée et je voulais vous dire que j’aime bien ce que vous faites, couleurs, sujets, bref votre personnalité. J’admire ce travail long et minutieux de l’univers de la B.D et me promet de consulter régulièrement le site, Nadine Pleynet
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Je vous ai vu dans une émission télévisée et je voulais vous dire que j’aime bien ce que vous faites, couleurs, sujets, bref votre personnalité. J’admire ce travail long et minutieux de l’univers de la B.D et me promet de consulter régulièrement le site, Nadine Pleynet
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